Lundi 03 février 2003

Il est peut-être en train de se passer quelque chose de décisif pour moi. Comme si mon corps se façonnait, se métamorphosait douloureusement pour accepter enfin l’évidence. L’état de trouble est passé. C’est de l’amour maintenant. Il ne faut plus avoir peur des mots. Alors, si c’est lui et personne d’autre, si j’en suis si sûre, ça vaut la peine de respecter son rythme et d’attendre, même des mois s’il le faut. De toute façon, quelque chose est en train d’arriver, un changement brutal. Je vais encore évoluer. À la fin du mois, je vais apprendre à me taire, à écouter, à trier l’essentiel. Alors je serais vraiment prête, et non plus dissolue comme j’ai pu l’être.

Mardi 04 février 2003

Quelque chose m’a touché aujourd’hui, c’est peut-être la première fois que j’ai eu envie d’être entourée de ma famille. J’ai eu envie de tous les appeler, de les entendre, de leur dire que grâce à eux je suis vivante et forte. Mon grand-père surtout m’a émue, je sens qu’il pense à la mort, qu’il essaye de s’en sortir avec les poids qu’il porte, qu’il essaye une dernière fois peut-être d’être humain. Et j’ai pensé à mon père, est-ce qu’il demandera pardon un jour, est-ce qu’il nous cherchera, est-ce qu’il faudra tout oublier par amour pour son bourreau. Le moindre jour qui passe est décisif pour moi, alors quand ce sont des années qui s’écoulent, comment gérer ? Est-ce qu’il n’est pas finalement devenu un fantôme nostalgique, est-ce que je ne me suis pas faite à sa mort fictive ? Et s’il revenait, est-ce que je ne pleurerais pas jusqu’à disparaître ? Mais je peux tout effacer et quand bien même, qu’est-ce que ça m’apportera ? J’ai peur plutôt de n’avoir plus rien à dire, que le silence s’installe. Il faudra bien un jour quand même que j’en ai le cœur net.

Vendredi 21 février 2003

Aujourd’hui il s’est passé quelque chose de décisif. Je me suis déclarée. Je n’avais jamais fait ça. Et j’ai été récompensée. Je suis tombée sur un ange, et tout redevient fort, possible, extatique. Je suis trop épuisée pour mesurer l’étendue de ma chance.
Pour l’instant, il partage mon opinion, ma volonté de le rejoindre, mais il demande du temps. Qu’à cela ne tienne, je sais me battre et attendre pour ce qui en vaut la peine. J’attendrai, donc, mais sereinement, sans hâte ni chagrin, je me préparerai à recevoir cet être dans ma vie, de la façon la plus honnête et douce qu’il soit. Je me prépare à cet amour que bientôt je pourrai donner, avec force et fondant, avec chaleur et ténacité. Je me prépare.
Bientôt j’entame ma phase de silence, comme une épuration ou une pénitence de tous ceux qui m’ont arraché de fausses émotions, des mots inappropriés aux situations médiocres que je vivais. Mais je n’ai plus peur. Je sais que je vais changer, mais je sais pourquoi. Pour moi. Je vais enfin, peut-être, ma bâtir pour de bon, de façon posée, réfléchie, afin de pouvoir enfin intégrer quelqu’un dans ma vie, dans ma chair et non pas me calquer sur lui dans une mascarade pénible. Je suis enfin aimée pour ce que je suis. Je partage enfin. J’aime enfin. Il était temps.

Vendredi 28 février 2003

Je suis fière. J’ai su me faire aimer de lui. Je ne comprends pas ce qui se passe en moi. Je suis dans un état de sérénité certain, j’ai confiance, j’ai eu raison d’avoir confiance. Il est là à présent, à réchauffer ma vie, à accepter que je prenne soin de la sienne. C’est mon inséparable maintenant.
Tout a été parfait. Il existe donc, ce bonheur. Je ne me brûlerai pas. A partir de maintenant, je le suivrai n’importe où.
Il m’a délivré, est venu vers moi, j’ai même retrouvé une partie de ma voix. Je l’aime comme une évidence brûlante. Dieu que c’est bon d’avoir surmonté toutes mes angoisses, Dieu que c’est bon d’avoir eu raison d’y croire fermement.

Mardi 4 mars 2003

En regardant sous mes fenêtres passer le carnaval, cette foule d’individus grouillants au même rythme dans un éclat inespéré de bonne humeur partagée, j’ai eu un instant cette idée folle que la ville entière nous célébrait. J’ai fermé les fenêtres et mis de la musique. C’est alors que je me suis retrouvée à contempler d’en haut une foule muette et agitée, ignorant tout du bonheur qui me submergeait à cet instant précis. J’ai fait partie de cette foule, et m’en suis détachée. J’ai atteint le sacré, l’essentiel. Et je ne sais quel dieu remercier.
Alors est-ce que cette histoire va me faire vivre ou me tuer ? Il n’y a plus que ces deux alternatives, et c’est viscéralement que je me prépare à changer. Il n’y a plus rien qui compte que le moment où je vais retrouver son souffle, sa châleur. Et loin de lui je tremble, incapable de contenir tout ce « trop » qu’il me fait ressentir. C’est tout entière que je veux me jeter vers lui, entrer en lui et lui en moi.

Jeudi 6 mars 2003

Mais qu’est-ce que je ressens ? Quel est ce délicieux tourment ? Je ne comprends pas, sauf que l’absolu me rattrape. C’est incroyable, soufflant, prenant. Mon palpitant se rappelle à moi à chaque seconde, je me sens battre dans le moindre de mes cellules, celles-ci le réclamant sans cesse.
Je me suis laissée empoisonnée à nouveau. Mais je ne trouve pas de nom à ce poison, moi qui croyait pourtant fermement avoir déjà aimé. Oui, pourtant, c’était bien de l’amour, avant…alors maintenant, qu’est-ce que c’est ?
Je pleure de ses mots tendres, comme si enfin j’étais consacrée. Je n’en sortirai pas intacte. Parce que je fais ce vœu fou de ne plus en sortir.

Dimanche 9 mars 2003

Je ne suis pas stable émotionnellement. Quelle douleur, alors que tout ne devrait être que joie. L’ombre de mon père guette, me cachant partiellement le soleil. Reparler de lui, c’est ouvrir la porte à toutes mes craintes, c’est risquer de reprendre à zéro la lente progression vers l’apaisement. J’ai tellement mal, surtout, de ne pas être la seule qu’il ait écorchée. Mes petits frères et sœurs sont trop faibles pour se battre, eux, il a fait de nous des monstres. Eux grandissent trop vite, et moi je suis comme une bête traquée, apeurée, qui fuit la foule, qui a peur des gens, qui ne croit plus mériter le bonheur. Il faut lutter, il gagnerait s’il m’arrachait mon amour en plus de tout. Je ne lui laisserai pas cette victoire. Et pourtant, je ne peux refréner mes angoisses d’être un jour niée, abandonnée, de nouveau.

Vendredi 28 mars 2003

Je n’ai presque plus d’angoisses. Je l’aime tellement. Il sait tout faire pour me correspondre. J’ai parfois l’impression schizophrènique de l’avoir créé de toutes pièces . Et pourtant non, c’est lui, une personne à part entière, recensée par l’état civil, vivante et singulière. Je suis grisée. Je ne redescends pas de mon nuage. Il ne me laisse pas redescendre. Il coupe court à chacune de mes craintes, patiemment, généreusement. Je voudrais le hurler au monde, je suis oppressée de ne pouvoir lui rendre hommage publiquement. Cet homme est mon univers, infini, calme, noir, étincellant, fascinant. Je ne peux plus respirer quand je plonge dedans, je suis bercée par son apesanteur. Il m’a réconciliée avec moi même.

Mardi 08 avril 2003

Le grande menace plane à nouveau. Cela pourrait devenir insupportable, cet écrasement de la poitrine, ce basculement incessant dans le doute, à nouveau, dès que la brèche se rouvre un peu, c’est tout mon être qui glisse dans la peur panique de ne pas mériter le bonheur. J’ai peur qu’il me quitte parce que son passé est trop lourd, parce qu’il s’aperçoit que je suis un substitut et pourtant ce n’est pas ce qu’il me dit… je ne sais trop rien ce soir, sauf que je vais passer une nuit en enfer, à essayer de chasser ses fantômes, que je ne localise pas, à brasser l’air pour rien, à attendre qu’ils l’emmènent sans que je ne puisse rien faire.
Impuissante. Je suis impuissante. Je l’aime à crever, mais je ne voudrais pas le prouver.

Vendredi 25 avril 2003

Il faut que je m’y fasse : Matthias est la plus belle histoire que l’on m’ait raconté dans ma petite vie. Tout peut arriver maintenant. Je suis prête. Pour lui. Pour moi. Pour faire de ma vie une vie enviable. Je crois que je sais enfin vivre comme il se doit.

Samedi 17 mai 2003

Mail non envoyé. Chagrin. Fatigue. Est-ce que tout va s’arrêter ? Est-ce qu’il va cesser, enfin, de nous condamner avec sa mentalisation démente ? A suivre…

J’ai plusieurs phrases qui me viennent en tête pour débuter, continuer, terminer ce message. En vrac, alors tu n’as qu’à les mettre en ordre si tu le peux. Je te laisse ma tête comme terrain de jeu.
-Il faut que tu respires
-j’en ai marre
-je suis triste
-Benoit m’a planté, la musique, les rollers, ce sera pour plus tard. Il semble d’ailleurs que beaucoup de choses soient pour plus tard. Voire jamais.
-je nourris l’espoir insensé que ton envie de me voir devienne parallèle mais détachée et indépendante de tous tes états d’âmes. Que je serve à quelque chose dans ces moments-là. J’ai bien dit insensé. Toute la valeur est dans le mot.
-je m’en veux de ne pas savoir, à force, quoi te dire pour que tu ailles mieux.
-je m’en veux de retomber systématiquement dans l’angoisse, le chagrin. Je voudrais n’y accorder aucune importance, que tu ne sois qu’une option parmi d’autres.
-je ne suis pas une fille dispersée, légère, allumeuse, jeune, lunatique, cruelle, jalouse, écervelée, affolée donc, je te mets à l’abri du sordide. Du sale. Et non, ça ne me fait pas peur de t’assurer sans l’ombre d’un doute que ce n’est pas ça qui déterminera la fin de notre relation. J’en suis sûre, c’est la seule certitude inébranlable que je possède sur moi, celle que je ne trahirai pas. Qui que ce soit.
-j’ai mal au ventre, je ne suis pas tranquille, je sens que malgré tout, mes efforts ne seront pas suffisants. Qu’à force de trop vouloir te comprendre je vais m’user, le plaisir va s’user, la joie va me quitter, que ton mal être va me vampiriser jusqu’à la dernière goutte, car il semble plus fort que ma joie, je risque effectivement de perdre. Je voudrais bien te la donner cette dernière goutte pour noyer définitivement tes monstres, mais je ne suis même pas sûre que ça serve à quelque chose.
-j’ai besoin qu’on m’aime profondément. Je pense qu’après avoir aimé grandement toute ma vie,souvent sans retour, j’y ai droit. Je me comporte bien , je donne tant que je peux, si je ne suis pas récompensée un tant soit peu, je vais me dessécher. Et si ce n’est pas toi qui m’aime, alors je peux laisser tomber définitivement l’idée.
-On sait l’un comme l’autre gérer le douloureux, plus ou moins bien, mais on a la preuve de notre survie en milieu hostile. J’aimerais savoir ce qu’il en est de survivre dans un monde merveilleux. On peut chasser facilement ses démons quand on pense très fort qu’on a de la chance d’en être là. C’est ce que je m’obstine à faire, ça va te sembler dérisoire, mais au moins, j’ai l’impression d’y arriver un minimum. On n’est pas seuls. En plus des gens formidables qui peuvent constituer une part de nos familles, de nos amis, on a quelqu’un « en plus ». Un petit plus qui fait beaucoup de différence avec l’entourage. Bordel, c’est pas de la chance de s’entendre comme on le fait quand on voit tous ceux qui se cassent la gueule pour ne s’être certainement jamais posé un quart des questions qu’on se pose ?
-Il serait masochiste et complètement aberrant de nous sacrifier maintenant. De l’ingratitude pure au vu de la chance qui nous a été offerte de mettre en commun nos potentiels à construire sur de bonnes bases quelque chose de beau.
C’est pourtant, à petit feu, ce que tu vas faire si tu rumines trop.
Et moi, je n’ai et n’aurai qu’à te voir te détacher lentement et dériver loin de mon port, sans pouvoir rien faire.
-je suis pourtant là pour que tu t’appuies aussi sur moi.
-je suis pourtant là pour partager tes peines
-je suis pourtant là pour que tu sois là aussi.
-Toute cette énergie perdue à se battre contre rien, c’est frustrant, quand on pourrait être en train de se faire plaisir à parler des choses qu’on aime, à en faire. Sentir que le lien est tissé majoritairement de moments fantasques, drôles, forts et fins.

Voilà, tout ce désordre balancé là, qui était la seule solution pour que je ne devienne pas folle ce soir. A essayer de comprendre ces bourrasques qui te balayent la tête et dont je fais aussi les frais.
C’est un long message, parce que je veux reculer le moment où il faudra que je m’arrête pour passer à quelque chose d’autre. Je vais sortir je crois. M’aérer.
Je ne te souhaite pas de bonne soirée, ce serait ironique. Je n’ai pas envie d’être ironique. Je suis profondément sincère ce soir, sans arrière pensée ou mots d’esprit. Je m’en fous de tout ça.
Fais-en ce que tu voudras.

Dimanche 25 mai 2003

Encore un message non envoyé. Putain, pourquoi ? J’y arrive pas.

Il y a si peu à faire.
Arrêter sa machine pour laisser les autres monter. Laisser des questions sans réponses. En laisser pour plus tard, ne pas être avide de ce plus tard.
Ne plus redouter la surprise. Ne pas s’arrêter à l’instant, rebrancher sa mémoire.
Courir après la pluie, de plus en plus vite, ne pas s’arrêter au bord mais sauter dans le vide, laisser l’air nous empêcher de respirer et atterrir difficilement mais sauf, grisé d’avoir osé.
Il y a peu à faire pour aller vers l’autre, et ne plus repartir.
Mais tout le monde semble vouloir s’arrêter avant d’avoir accompli le peu qu’il restait à accomplir. Ils ne veulent pas miser plus gros de peur de se perdre en entier et repartent seuls consolés d’avoir sacrifié leur courage à un maigre butin qui, à nouveau, bientôt, ne leur suffira plus.
Je ne veux pas être sacrifiée. Je me fous des rôles de martyrs, et des regrets d’une vie qui lanceront douloureusement dans ma tête leurs petites voix amères et chagrines « Tu n’as rien pu faire pour éviter le naufrage. Tu n’as rien trouvé, tu n’as eu aucune solution miracle pour aider l’autre, tu es insuffisante… ». Je me fous d’aller remplir les rangs des dépressifs chroniques pour n’avoir pas su me rendre indispensable.
Je ne serai pas une sacrifiée.
Il y a si peu à faire que tu vas me faire le plaisir de le faire. Tu vas te faire le plaisir de le faire. On va le faire ensemble. Bordel.

Lou est né il y a une semaine. Et la vie reprend ses droits. Et les choses reprennent leur place. Tout semble se tranquilliser un temps, mais je ne suis pas tranquille. La grande menace plane à nouveau. Et s’il partait ? Et si tout devait se briser en moi à nouveau, vers quelle réparation irais-je ? Quitterais-je tout sur l’instant pour avoir une chance de survivre ? Peut-être. Je dois me préparer au Grand Départ. C’est douloureux. Et en même temps, l’espoir ne me quitte pas . Non, je n’ai pas inventé ses regards, ses caresses, ses intentions fébriles, torturées mais triomphantes. Je ne peux pas croire qu’il ne m’aime pas. Mais qu’il le nie, ça c’est plus que sûr. Et ça fait mal. On était si proches…le travail de deuil est difficile, il me console de ce qui a été entre nous, et il faut tout recommencer pour retrouver cette complicité, cette proximité qui nous liait. Elle me manque, cette insouciance. Elle me manque, cette période si proche et pourtant révolue. Il est à côté de moi, et il me manque. Sale temps pour les rêves, sale temps pour la tranquillité d’esprit, sale temps pour moi.

Mardi 27 mai 2003

Il est parti hier soir. Je n’ai pas été suffisante. Ma tête est vide, mon cœur est broyé , mes jambes, ma voix sont coupées. Je n’ai pas trouvé comment le retenir. Je n’ai rien compris. A nouveau, je suis abandonnée. C’est bien ce que je pensais, on ne s’habitue jamais. Je n’avais pas tout dit à son sujet. Il n’a rien entendu de ce que j’aurais pu lui dire si j’en avais eu le temps. Son ombre va me suivre encore longtemps, peut-être pour toute ma vie. Avec cette question : pourquoi n’avons nous pas triomphé ?
Quoiqu’il en soit, je me mets entre parenthèses. Je ne suis plus là pour personne.
Il va falloir penser à disparaître. Le poids des souvenirs est infernal, ajouté à cela que je n’ai rien à lui reprocher. Je ne veux plus dormir , les rêves de lui sont trop cruels. Que quelqu’un m’aide, je ne sais pas quoi faire pour arrêter ce chagrin.

J’ai peur du moment où je vais enfin réaliser ce que j’ai perdu. La solitude atroce qui va s’installer, je la sens déjà poindre. Mais surtout, surtout, je sens avec appréhension que je me déconnecte petit à petit du réel. Je ne peux pas faire autrement que d’espérer encore qu’un miracle survienne. Je ne peux pas croire que j’ai rêvé tout ça. Je ne peux pas croire que j’ai inventé ce lien de toute pièce. Je ne peux qu’attendre. Et ça peut durer longtemps. Me cacher pour pleurer et attendre. Je viens de me faire balafrer et je ne réalise pas encore la longueur et la douleur de la cicatrisation.
Je suis à nouveau pétrie dans mes angoisses, j’ai peur de moi même, comme une bête traquée par elle même. J’ai peur de lui, de lui parler, de le voir. C’est au dessus de mes forces. Je me souviens de sa peau, ses baisers, ses mains, tout ceci est au-dessus de mes forces. Je sens que les regrets vont venir régulièrement me hanter, et que je l’aimerai encore longtemps. C’était une évidence. J’aurais dû m’en méfier. Mais il fait partie de moi, et je ne peux pas m’amputer.

vendredi 30 mai 2003

Rien. S’habituer au silence. Se débrouiller seule. Il faut que je me souvienne de tout ce qu’on m’a dit :
– Ne pas faire de deuil maintenant, attendre d’être sûre.
– Le laisser revenir.
– Ne jamais se décourager.
– Se renouveler.
– Tirer des leçons.
– Me retrouver.
– Mais surtout, surtout, se persuader que toute cette lutte portera ses fruits, maintenant ou ailleurs.
Et essayer de ne rien sacrifier. Tenir bon pour le reléguer au rang de remplaçable. C’est peut-être ça le plus dur. Admettre qu’il n’est qu’une parenthèse dans ma vie. C’est impensable. Je n’y arriverai pas. Alors, trouver le moyen de l’intégrer sans que cela cause ma perte. Je ne sais rien. J’ai besoin, moi aussi, finalement, de temps. J’ai besoin de m’entourer et d’être seule. Je suis épaulée, et j’accepte enfin de l’être. Je ne peux plus être forte. Je ne peux plus assumer. J’ai mal, et j’ai besoin de soins.

samedi 31 mai 2003

J’ai comme une nausée qui me tient depuis quatre jours, c’est la première fois que ça se matérialise. Je suis vraiment perturbée. Je ne supporte plus la présence des autres, tout me semble fade, inconsistant, je n’arrive pas à trouver une branche à laquelle me raccrocher. J’ai perdu mon chemin. Je ne trouve plus l’issue. Combien de temps ça va encore durer ? L’écriture, comme l’alcool ou la cigarette pour d’autres a une vertu thérapeutique, mais cela ne dure pas. Il faut, compulsivement, que je poursuive mes mots, que j’inscrive ce que je ressens, désespérément, brutalement. J’essaye de comprendre, j’essaye de relativiser mais c’est hors de tout contrôle, quelque chose lutte en moi, contre moi, pour le garder en moi, ne pas l’oublier, l’attendre. J’étais si fière d’avoir réussi à l’aimer totalement, entièrement, sincèrement, durablement. Mais je ne suis pas récompensée. Et le sentiment d’injustice me brûle, me consume, avec cette même question qui me rendra folle : Pourquoi ?

Vendredi 06 juin 03

10 jours. 10 jours de lutte pour tenir debout, accomplir mes obligations, vider ma tête.10 jours de nourriture forcée, de sommeil agité. Depuis mercredi j’avais progressé, même ri un peu de cette accumulation romanesque de tourments. Mais on peut encore apparemment encaisser bien plus. Je croyais m’être apaisée. Je croyais être forte, à nouveau. Mais ce matin la brûlure s’est ranimée. Peur des gens, du téléphone. Envie de le voir, peur de le saoûler. Cette peur, cette angoisse, si seulement je pouvais les maîtriser. Si encore il ne restait que le chagrin, la mélancolie, je m’en sortirais. Je me souviens de mes rêves d’avant, de ce qui me faisait envie pour me trouver des buts, mais je ne ressens rien d’autre que la douleur, qui anesthésie tout le reste. C’était donc vrai, mes mots n’étaient pas usurpés, il comptait.
Londres. Se raccrocher à cela. Enterrer Bordeaux. Le Grand Départ. Je ne sais pas à quoi cela va me servir. Si : à me concentrer sur le fait de m’intégrer dans un milieu difficile. Avoir des choses concrètes auxquelles penser. Etre loin…ne pas savoir.

Vendredi 13 juin 2003

C’est du délire ces troubles physiques. Ce tourbillon qui m’écrase à terre. De toute façon, je ne peux même plus pleurer. Je me suis tarie. Ce qui devait arriver arriva. J’ai de moins en moins de nouvelles. J’ai un mélange d’envie brutale de le revoir, et de profonde panique quand je pense à la confrontation. Je me sens menacée par son bien-être, ses projets. Il est en train de me faire progressivement disparaître de sa vie, donc disparaître tout court. IL est plus que dur pour moi de trouver de l’entrain à mettre dans quoi que ce soit. Je ne sais pas comment je vais. Je ne sais pas de quoi j’ai envie. J’ai juste à m’occuper de calmer les malaises, me reposer pour tenir le coup au boulot et subir ces perpétuelles montées de stress qui me prennent n’importe quand.
Je voudrais tellement qu’il sache ce que j’endure, bien qu’il s’en doute . Je voudrais qu’il s’occupe de moi, qu’il me réintègre dans son entourage proche, comme il le disait, qu’il ait envie de me voir, de prendre des nouvelles, de faire des choses avec moi. C’est ça, la seule chose dont j’ai vraiment envie. Qu’il rematérialise le fantôme qu’il est en train de devenir, parce que son fantôme me fait bien plus peur que lui.
Je voudrais tant qu’un miracle survienne. Je prie je ne sais qui ou quoi pour qu’un miracle survienne, que le mauvais rêve s’achève. J’ai peur d’attendre longtemps.

Lundi 16 juin 2003

Donc ça peut aller de pire en pire. La canicule n’arrange rien. Je suis plongée dans une léthargie physique qui m’inquiète. J’aimerai bien réagir un peu mais mon corps refuse de suivre. Il m’a recontacté. Je pensais qu’on allait enfin pouvoir vraiment se parler. Il me répète sans cesse qu’il est là, mais il reste inaccessible. Je suis usée d’avoir à aller le chercher. Il me déçoit tellement, ça me tue de reconnaître que s’il ne réagit pas je vais commencer à nourrir de mauvais sentiments, de la rancœur surtout. Je ne veux pas le perdre. Je ne veux pas le perdre. Mais il fait finalement tout pour.
Comment croire, garder espoir que quelque chose refleurisse de tout ça ?
Je suis vraiment blessée, et rien ne semble vouloir détourner cette douleur. Lui seul le peut.

Mardi 24 juin 2003

J’impose à mon être un rythme, un état qu’il refuse. Je voudrais aller mieux, vraiment, je voudrais remplir ma vie de pleins de bonnes choses, accepter ma mélancolie, accepter qu’elle s’installe, accepter le vide sentimental. Mais physiquement, rien ne suit. Mon état, fatigué, faible, irrité et vulnérable s’impose à moi. Je n’arrive pas à lutter. Je crains qu’il n’y ait pas de solutions. Pour l’instant.

Un an plus tard
Mardi 17 août 2004

Mon oncle est mort l’été dernier, le 11 juillet 2003. Je l’aimais aussi, et bien plus car autrement. Mon organisme, saturé d’adrénaline, consumé de chagrin aux sources multiples, n’a pourtant pas fracturé. La machine humaine est bien huilée. J’ai touché l’enfer immaculé à ce moment précis. Celui dont on ne peut se plaindre lorsque l’on est occidental, riche, tiré d’affaire. Je n’ai pas compris sur le coup que la mise à l’épreuve, comme la sélection naturelle, font partie intégrante de l’espèce. Maintenant c’est chose faite.
Et ça va chier.

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Les paradisiers, Greater Birds of Paradise, sont une beauté gratuite, étourdissante qui s'offre rarement aux yeux de quelques privilégiés, hommes patients et obstinés, à l'écoute de la jungle.

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Pour ma mère. J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d’un bonheur royal. Albert Camus, La mer au plus près. « À midi sur les pentes à demi sableuses et couvertes d’héliotropes comme d’une écume qu’auraient laissée en se retirant les vagues furieuses des derniers jours, > Lire plus

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Première partie ici. « Animaux, ô chers aimés, ô cruels, ô mourants ; en train de se débattre, engloutis, digérés et assimilés, prédateurs et pourrissant dans leur sang ; en fuite, rassemblés, solitaires, entrevus, débusqués, traqués, rompus ; incréés, privés de Dieu, abandonnés, dans une vie trompeuse ainsi que des enfants trouvés ! » gémit Elias > Lire plus