Soudain tu es à la place du mort, la fenêtre grande ouverte. Moite, parce qu’il fait encore trop chaud à 3h du matin, et le pitch black peine à céder aux taches sales, vaguement jaunes des spots, ouais, des spots des rues, là, les « réverbères » pour dire un mot bien long et super chic. Tu tires sur ton joint d’un air inspiré, surtout pour pas te brûler encore, mais tu sais que surtout, si tu tires sur une fin de joint à 3h du mat’ dans une voiture déglinguée embarquée tu sais pas trop où dans une ville que tu connais pas, il va pas t’arriver des bricoles, non, tu construis ta légende. Nuance. Peu importe le nombre de parois vaginales que t’y laisses, et les neurones en moins.

« Hey les gars, je hurle en me retournant, parce qu’un DJ roumain s’est emparé des baffles. Vous connaissez la pub à la con là, « Mais bon, si vous n’avez pas d’Iphone, vous n’avez pas d’Iphone » ? – Ouais et alors ? – Ben tu peux la décliner, tu vois :. Mais bon, si vous n’avez pas de neurones, vous n’avez pas de neurones. – Ouais, mais c’est trop compliqué ta blague.- Ouais. Mais bon, si vous n’avez pas de neurones… – Oh ta gueule.  – Je suis mésestimée, je ris, en amorçant un relevé de jupons. – Mais non, pas si tu montres ton cul.»

Et ce n’est pas grave. La vérité c’est que tu as construit toute ta vie pour arriver précisément à cet instant présent, et si tu arrêtes la bobine une seconde, dans une méta-salle de montage qui aurait tout archivé, et que tu choisis au hasard des bribes d’avant le temps où tu savais exactement ce que tu faisais, où et avec qui, tu vois des trucs que tu pigeais pas avant. Mais qui prennent un relief de dingue.

Tu n’as jamais connu Cabrini-Green, et essayes d’en faire un cocktail. Poudres de détresse, mixité des races et des mots qui fâchent, un grand clown qui décapite des hommes encore jeunes, desséchés par la drogue et trempés sous la pluie en attendant de vendre leur bouche à l’avant des pickups. Des bâtiments qui prennent des coups de boule pour faire place neuve. Dans un très, mais alors très grand nuage de bruit.

« Chicaco Coooooode ! You-hou-hou !!! – Oh, tu vas te calmer, oui ? Tous pourris… – Nan. John Wayne Gacyyyyy !!! – Grand malade. – Grand artiste, oui. – C’est pareil. – Tu dis ça parce que t’es petit. – Sale conne.»

Si ce n’était que le mal, encore, vrillé profond imperturbable.

Mais c’est le sale, surtout, putain. Et le monde entier implosé dans ton pauvre centre qui oscille entre le masque déformé du tragique flamboyant et la coulée de la pâte blanche du mauvais acteur mêlée à la sueur qui t’invite à t’essuyer pour libérer une peau à vif, plaques d’indignations et de terreurs qui remontent à avant le temps où tu pouvais compter les coups dans la gueule. Tu les regardais venir avec les yeux mouillés. Tu savais qu’un de plus c’est encore un de trop, et que ces additions primitives finiraient par un brutal solde de tout compte un beau jour de grève, sur le bitume ondulé par la chaleur atroce, les semelles collées, tu pourrais plus t’envoler et t’abattrai ton maillet sur la seule tête amie qui viendrait t’aider. Pour l’éclater dans un chaos gluant d’âme et de cervelle.

Ah mais j’ai tout au fond de moi, réveillée par les vibrations de la bagnole et les mojitos en série, la décharge qui menace, j’en ai un mal de crâne atroce, à lutter pour pas me démultiplier encore, pas encore grandir, pousser une excroissance malheureuse à cacher, à doucher, à gratter jusqu’au sang. Ce n’est pas tant que je voulais plus. Mais tout s’accroche. Et fornique avec mes attributs, mutation permanente sur poutres indestructibles, je l’ai déjà dit. J’ai besoin d’autres territoires. D’autres villes, encore, des frontières à passer, des airs à inspirer. Des pauvres types à aimer. Des grandes femmes à admirer. Des connasses à qui pardonner. De grands hommes qui tardent à parler. Je peux m’approcher et prendre leurs couleurs. Leur donner d’une sève qui ne peut s’épuiser lorsqu’ils me feront confiance. Je peux être pute de Cabrini-Green, ou du Rotary Club. Bovary ou Wharton, esseulée dans son souffle qui repousse le médiocre.

Mais tu recules et tu te vois. Pas de patrie, toujours le regard derrière celui à qui tu parles. Toujours cette foutue migraine qui te rappelle la mort. La possibilité d’un écran noir définitif sur tes plus belles projections. Mourir je m’en tape. Moi j’ai juste peur de cesser de voir derrière mes yeux fermés les formes que j’ai mêlées pour pas pourrir sur place. J’ai pas peur, non. Je devrais. J’ai pas peur. Simplement le regret de faire partir dans les limbes tout ce que j’ai réussi à savoir sur vous. Et vous éteindre un peu avec moi.

Ta migraine, tu l’imputes à l’orage, en oubliant trop vite le mauvais vin qui l’a précédée. Il faut faire attention, avec toutes ces versions nobles. Tu vas tomber de selle et te briser la colonne, tu tiendras plus rien à rien, faudra pas t’étonner alors.

Je sais pas s’ils ont un passé à Cabrini-Green. Je sais pas s’ils ont le luxe d’y prêter deux minutes, pour apprendre à se retourner.

J’ai juste la certitude que je retiens mes poings de tomber, mes dents de déchirer, ma gorge de boire la lie, que je suis la dernière, ivre morte dans cette voiture, à penser qu’à Cabrini-Green, mes semblables ont tué ou se sont fait tuer de la façon la plus dégueulasse qui soit. Et qu’il faut bien soulager les fureurs qui ne partiront plus. D’accord. Qu’il y a eu un problème, toutefois. Un épicentre. La merde, quoi.

Qu’en fait, si t’es pas déjà à longer la ligne verte avec tout ce sang sur les mains, c’est que t’es juste sale. Le mal existe. Il t’a oublié, c’est tout. T’as plus que ta pauvre bagnole de merde et les rebuts que Cabrini-Green a épargnés en tombant sous elle dans un grand bruit. Des gens moches, sales, méchants et petits, qui feront du mal à répétition, assez pour déglinguer des gens encore vivants qui porteront jamais plainte. Pas assez pour les empêcher de vivre et traverser ce putain de cercle de feu qu’un vrai bon diable sait encore générer.

Tu rigoles, avec ton Iphone-neurones, tes joints et ton jupon déchiré, tes migraines et tes grandes descentes. En vérité tu peux même pas mourir, tu peux même pas tuer. Tu perds tes destinées dans les proses raccourcies, niées. Sans autre queue ou tête que le bon vouloir de ton esprit paresseux à construire. Tu sais que tu es tout, que tu peux tout, et tu ne cherches même pas à le prouver. Tu vas bien finir par t’exploser dans les mains, à tout dégoupiller et laisser de côté. Tu ferais mieux d’avoir peur, ouais.

T’es à la place du mort. Tu vois tout se jeter sous tes roues, sans plus rien contrôler.

 

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