Ceci est le dernier article installé sur mon précédent blog Projet Ego Non, alors que je construisais celui-ci.

Je suis en train de terminer mon prochain site, construit sur mesure, qui remplacera définitivement la location de blog dans laquelle les travaux de structure importants ne sont pas autorisés, et dont l’adresse sera pamelaramos.fr.

Ce site n’aura pas d’autre nom que le mien, après avoir tourné autour de tous les intitulés superficiels et jamais satisfaisants, j’ai échoué parfaitement à titrer, et même « catégoriser » clairement ce que je dois écrire, quand cela me prend, ce qu’il me fait plaisir d’écrire, tout autant que ce que j’estime important d’écrire, mobiles fondamentaux d’écriture qu’on ne m’avoue plus qu’en privé, lorsque, embarrassé de rencontrer un pair dans une multitude qu’on croyait réellement perdue pour la cause, l’un se fait prendre la main dans le sac d’un discours qui ne correspond à rien de ce qui se voit. Titrer, pour celui qui se construit un espace dans lequel il expose, est encore plus théâtral et poussif que d’assumer que c’est bien en son nom qu’il écrit, en ce nom propre qu’il n’a pas choisi et qui détermine toute la condition contre laquelle, allié avec laquelle, tour à tour il écrira. Il m’aura fallu douze ans pour parvenir à y voir enfin clair à propos de ce nom.

Je ne sais pas comment sont lus les textes que j’écris depuis des années où ma trajectoire personnelle n’a cessé de se mouvoir, et ne cessera plus jamais. Je sais, à peine, combien de fois quelqu’un « tombe dessus ». Ce qui ne dit rien, et laisse le champs incroyablement libre, le plancher débarrassé pour continuer à y gratter des considérations, des notifications, des échos transformés, mal entendus, autant que j’en aurai la force. Je ne peux pas vivre, lire, écrire, me regarder faire et traduire pour ceux qui ne suivent pas dans le même temps, sans m’abominer pour ce sacrifice à la décence et à la nuance auquel je ne consens pas. Personne ne le peut, et c’est bien partant de ce constat impossible auquel la fracture la plus terrible et meurtrière pour l’âme qui fut nous a condamnés, celle de l’accident, ou du putsch des réseaux sociaux – ce n’est pas une révolution, personne ne l’avait convoquée, désirée, cette absurde fenêtre sur tout le monde – c’est bien partant de ce constat, donc, que j’ai fait évoluer mon métier mourant, la librairie, pour lequel je ne peux presque plus rien tant le terrain est miné et la guérison souhaitée viscéralement par trop peu, mollement, pour le plaisir de penser propre. Aujourd’hui, je vis, je lis, j’écris – abandonnant l’un ou l’autre membre de cette trinité au gré de mes priorités, et sans doute un jour je laisserai le soin à un ou une autre de me traduire si cela devenait important.

En contrepartie, je me charge toujours de trier, comme je le faisais des livres, et de traduire en ligne celles et ceux qui le veulent, et réfléchis avec eux à la meilleure insertion technique et éthique en miroir de leurs valeurs réelles, consenties, évolutives, de leurs capacités, des moyens qu’elles souhaitent mettre en oeuvre, des objectifs réalistes visés. Pour l’heure, je choisis de me créer moi-même cet espace, comme exercice supplémentaire pour assouplir encore mes compétences, comme terrain de jeu que je peux pousser un peu plus loin, sans doute, que ceux qu’on m’aura confiés, avec lesquels il est tout à fait exclu de jouer. Or, du jeu, naissent de grandes libérations, de grandes révélations, des cadres qui finissent par mieux nous ressembler, moins nous blesser aux encolures. L’écriture même de cet article où je trahis quelques procédés, est un jeu. Celui de brûler mes navires, afin de ne plus pouvoir revenir, si le courage me manquait, à l’étape précédente.

 

La maturité d’internet aujourd’hui nous indique que sans format net et précis, sans identité déclinée, sans caractérisation sociologiquement acceptable [c’est-à-dire à ce jour, la plus biscornue qui puisse être avec des -ismes et des -genres répertoriés par vidéos humanitaires], nous ne pouvons rencontrer de succès. Et je crois que c’est assez vrai. Il n’y a qu’à étudier les cas reconnus de gloire numérique. À la fin de la journée, vous n’entendez pas les débriefings pathétiques et les sophismes insupportables qui justifient frénétiquement que ces milliers de partages, applaudissements ou commentaires n’ont pour ainsi dire presque jamais remboursé la production du spot. Cependant, celui qui travaille, au-delà de la reconnaissance, avec ces outils et en observe professionnellement les résultats sait depuis longtemps le grand bluff formidable sur lequel prospèrent toujours bon nombre de consultants profitant, et qui leur en voudrait, de notre absolue crédulité dès que les domaines technologiques sont abordés… et de notre crainte de ne pas paraître dans le vent, ni compétent, si on ose se dresser contre, en toute logique pourtant. Quand on a bien tout regardé, l’affaire de la célébrité en ligne est entendue, si le prix à payer pour la gloire est de les rejoindre et de les flatter.

De grands esprits, humiliés par la technique, courent ventre à terre vers celle qu’ils détestaient jadis, pour de bonnes raisons, afin de se conformer à la forme qu’elle prend elle, et qui semble rencontrer tant de succès. Mais quel succès ? Qui a étudié les fondements de ces prétendus succès en ligne ? Satisfaire à une poignée d’humeurs concentrées, ne se confondant jamais avec la réalité, ni avec un quelconque lecteur de chair capable de vous entendre, de vous soutenir, de vous payer ? Quelle belle jambe cela pourrait-il vous faire qu’une poignée de notifications perturbe ou non quotidiennement votre course dans le monde ? Auriez-vous porté, jadis, dans la rue, une pancarte « aimez-moi », « achetez-moi », avec un masque grotesque de sourire en plâtre, n’auriez-vous pas pâli face à vos amis, ceux d’avant, qui restent et qui supportent ? Auriez-vous chanté dans un bal musette que « la vie c’est beau, l’amour magnifique, les arbres sont vivants, les femmes sont des êtres humains », sur une musique pauvre, avec des flashs aveuglants, pour promouvoir votre ouvrage de sciences humaines, cette notion même qui est entièrement à reconquérir, trahie par tous, en tous lieux digitaux ? Qui vous a dit « prosternez-vous devant la réclame des années révolues », que vous avez écouté ? Quel dieu surpuissant a-t-il bien pu vous convaincre que nous n’existeriez en ligne que s’il pouvait vous trahir, vous barioler de plumes qui font pleurer les vrais, vous écraser à terre sous des ahurissements spectaculaires, les cris d’une fausse foule qui vous craindrait hors ligne, fuirait, vous détesterait si vous vous trouviez véritablement aussi grand qu’on vous forge. Qui a réussi à vous terminer, vous enfouir sous la fange de valeurs droit sorties du fitness où il faut sourire sous la sueur, ne pas montrer l’effort, changer de machine dès qu’elle ne vous apporte pas le score rêvé, quand bien même vous sauriez qu’elle ne fait que tricher pour vous conforter dans l’idée fixe que pour courir correctement, il vous faut un chiffre, un indice de performance, une échelle de grandeur qui vous donne le beau rôle.

Qui d’autre vous a vaincu et fait chuter que celui qui vous a dit que vous gagneriez à coup sûr, et que vous avez cru ? Comment pouviez-vous imaginer une minute que le monde réel s’absenterait si systématiquement du virtuel, qu’il ne viendrait réclamer son dû de bon sens et de vérité ? Par quelle sorcellerie issue d’un siècle d’athéisme tourmenté, hanté de paganisme aux multiples objets de vénération dont la Technique, qui ne pouvait pas se tromper puisque vous n’y compreniez rien, qui était obligatoirement supérieure, inspirée, galvanisante – et par bien des endroits elle le fut – par quelle pensée magique, donc, avez-vous pu vous convaincre que l’exploration publicitaire n’allait pas prendre fin, pour dévoiler enfin un continent vide, pétrifié, aux identiques habitants attendant les mêmes choses depuis des millénaires ?

Et vous voici affublé d’une image grotesque, qui n’amuse même pas les enfants, vous voici poulet obèse gavé pour les jeux, balancé à coup de pieds dans le combat pour la visibilité, tentant de reproduire, dans l’hilarité générale, le pas de danse qui avait l’air si gracieux chez le poulet d’à côté. Prenant cette hilarité pour un encouragement, perdu à jamais dans les oubliettes de la honte de ceux qui pouvaient encore demeurer vos derniers alliés, mais ne pourront pas vous suivre dans cette absolue hideur, cette défaite complète de la pudeur dans laquelle on ne sait même plus trop si vous êtes victime ou parfaitement consentant, n’attendant que cette occasion pour vous montrer sous le jour cru de votre inconsistance complète, soulagé de pouvoir enfin mourir.  Sans mourir. Car il y a un « après la fin du film », et il est interminable. La culture post-apocalyptique faisant rage dans le même temps ne raconte que cela. Vous auriez du mourir de honte, et vous n’êtes pas mort. C’est une malédiction de ne pas être châtié pour son crime, et notre souffrance, immense, trouve une partie de sa source dans le fait que personne n’ait pu nous arrêter, nous aider, nous redresser. Que nous-mêmes.

Il faut refuser de n’exister qu’en taille unique, ridicule sur un petit, ridicule sur un grand, ridicule partout, tout le temps, mal taillé, adapté à personne.

Et oui, j’existe en différentes tailles, couleurs, matières. Pourquoi me figerais-je, numériquement, en une seule teinte monomaniaque, celle de la lectrice critique, de la poète enflammée, de la mère angoissée, de la mystique transie, de la badass survivaliste, de l’entrepreneure pragmatique… Je ne suis pas une marque. Me comporter comme telle est une aberration. C’est ce que je me disais lorsqu’il fallait me choisir une matrice pour mon site, une structure pré-existante, conçue par un type ou une nana à l’opposé de moi, de mes soucis, de mes fulgurances, trop jeune au monde sans doute encore.

Nous avons tout confondu. Les outils, les opportunités et les buffets à volonté. Je crois toujours qu’il sortira du monde digital le même monde qu’on n’avait pu jusqu’alors qu’effleurer, fantasmer, poursuivre à toutes forces d’épreuves, de recherches, de transcendances spirituelles ou artistiques. Le même, qui est en train d’apprendre à se montrer, au yeux des seuls éberlués qui n’avaient pas pris la mesure de la difficulté qu’affrontent déjà, depuis des millénaires, le traducteur, le poète, le reporter, l’historien, à nous le dire. Aujourd’hui, le créateur d’entreprise numérique tente de se joindre à eux et de nous dire du monde ce qui n’est qu’un grand bluff, comme si ses rêves allaient s’accomplir par sa simple prophétie. Le politique avait déjà commencé à grand renfort de statistiques. Et c’est en train de fonctionner auprès de ceux qui n’avaient qu’un grand vide en eux, incapables de se tenir sur une colonne solide, feignant de ne jamais comprendre rien et usant par cette attitude puérile la patience des plus aguerris qui se replient et laissent la place à ces infatigables commençants, qui toujours reviennent, jamais les mêmes, semblant naître toutes les semaines à un nouveau scandale, tombant des nues au point de s’être déjà fracturé tous les os, mais qui au fond n’en pensent rien, pas longtemps, et ne laissent comme trace indélébile d’eux-mêmes que cette confusion dont ils se trouveront de nouvelles raisons d’être fiers. Leur pollution est stratosphérique, ils ne nettoient jamais derrière eux, ne rectifient rien, ne contrebalancent jamais assez leur épouvantable grabuge gras. Ils sont nombreux. Il faut s’en dissocier.

Je me dissocie fermement du politique qui régule et organise après coups, du créateur de gadgets qui ajoute du bruit au bruit lorsqu’il pourrait aider à assimiler correctement ce qui a déjà été créé, je me dissocie fermement de l’usage frénétique et apeuré du monde digital. Je me dissocie de toute velléité générale à le contrôler, le réguler, ou museler qui que ce soit. Que chacun dresse son code, et l’applique pour lui-même et ceux dont il dépend. Que ce monde se montre, le monstre. Qu’il continue à présenter une face qui sidère chacun, en son for intérieur, par sa laideur et la promptitude avec laquelle ses pires éléments se dressent sans cesse en premier. Ils se compteront tout seul, et c’est très bien qu’ils le fassent, cela aide au grand tri personnel. Si personne ne nous oblige encore à le regarder en permanence, au moins ne pouvons-nous plus prétendre l’ignorer.

Moi je rejoins les poètes, les historiens, les traducteurs, les éditeurs, les reporters, les témoins. Qu’ils continuent de montrer ce que les autres font. Que chacun sache que s’il fait quoi que ce soit de significatifon le montrera, au milieu de l’océan de poubelles qui le cachera un temps mais pas toujoursQue ce sera un pari, une bouteille de plus jetée, comme avant. Que vous n’existerez pas plus par la grâce des artifices que ce n’était le cas avant. Que vous n’allez pas attendre le nombre de gratifications numériques pour savoir si vous existez correctement. Vous perdez trop de temps, nous ne sommes pas encore immortels et ne le serons pas demain. Pour le meilleur et pour le pire, j’ai toujours su où rejoindre ma base.

D’abord humiliée, comme tout le monde, par l’incompétence technique qui me sautait au visage, l’ignorance complète des coulisses, du façonnage de ce doigt internet qui nous montre ce qu’il veut bien sans qu’on le regarde, parce qu’on nous aura convaincus que seul l’imbécile le fait, j’ai réalisé progressivement que beaucoup de nos dictons seront à présent à regarder à l’envers, par le prisme de cette impénétrable enchevêtrement de complexité qui compose la toile dans laquelle à présent, à l’exception de quelques vieux plus isolés que jamais, tout le monde se retrouve englué, boursouflé et défiguré à jamais.

Bien sûr que cette évolution est la plus affreuse, la plus brutale et rapide qui se soit jamais produite. Abreuvée comme toute ma génération de récits de survie, j’ai bien entendu, en disciple attentive, que la catastrophe ne se produisait jamais dans le domaine dans lequel on s’était préparé, et cette école catastrophiste est redoutablement efficace (et la meilleure, à ce jour, pour donner de réels résultats) si on l’écoute lorsqu’elle nous dit qu’il s’agit surtout d’être endurant, prêt à fuir d’abord, alerter, se cacher, enfin se battre. Et surtout s’adapter. Lorsque le web social a déferlé, j’ai vu comme tout le monde les zombies, ces faux vivants abêtis, puants, affamés, sauf qu’ils ne m’ont jamais amusé, j’ai senti le danger, l’ai pris au sérieux et j’ai appris à m’y adapter. je ne m’y suis jamais habitué et ils me font encore régulièrement peur lorsqu’ils s’amassent trop près de moi. Il fut très rapidement temps pour moi, après la fuite et le repli pour rassembler mon courage, mes forces et ma stratégie, d’en finir avec l’illettrisme digital qui nous condamnait à subir la même propagande que celle qui sévissait sur les foules mal construites : le pouvoir réside dans la capacité technique à asséner son message, séduisant par la forme, fulgurant par les termes bien choisis, aliénant par la répétition sur des esprits mous qui cèdent facilement.

Il faut l’apprendre, ce langage, et savoir le manier pour y injecter ce que nous voyons en témoins, poètes, traducteurs, et ne pas devoir seulement céder aux délires et aux obsessions de grands techniciens numériques qui ne sont pas altruistes, mais des individus renfermés dans un cerveau systématique, dont la soif de justice sociale et de liberté vendue par leur culture pop a été exaucée… et dont il n’ont rien su faire. Comme tous les enfants gâtés et déçus, ils se sont retournés contre toutes et tous, répandant au mieux leurs expériences bien pensantes ratées, au pire le chaos car ils n’avaient pas de plan pour nous, mais pour une poignée de leurs amis, ou bien s’abîmaient dans la démonstration d’une puissance d’innovation qui n’a pas de freins. Qui pourrait se mettre en face, qui possède les mêmes incroyables aptitudes, pour fracasser ces idiots lourdement armés, et surtout, au nom de quoi ? Qui peut encore les comprendre, savoir ce qu’ils ont vu, entrevu parfois seulement ?

Nous n’y avons jamais rien compris, laissant cela aux limités, aux geeks, et soyons honnêtes, personne n’a vu le raz-de-marée se former, et leur vengeance en rangs serrés se déverser sur un peuple impassible. Car ne nous y trompons pas, il y a du ressentiment, pratiquement que cela, dans la construction des structures digitales qui nous parquent et nous humilient comme des bêtes bonnes à maltraiter. Armand Robin l’avait si bien décrit dans la Fausse parole, à propos de la radio, que je ne comprends toujours pas pourquoi ce livre, en libre circulation, n’est pas lu par quiconque s’approche d’un média, quel qu’il soit. Car il ne nous l’a pas dit en sociologue, payé pour catégoriser, il ne nous l’a pas dit en dissident politique, tentant d’organiser son salut en ralliant des indécis, il ne nous l’a pas dit en bourgeois bohème protégé par un système qu’il pince le soir sur France Inter pour se féliciter d’être libre de titiller des maîtres qui, amusés par ses pitreries, reconduisent son contrat d’amuseur public dont l’insolence elle-même est calibrée aux formats demandés. Non, il nous l’a dit en poète qui n’avait rien à gagner ou perdre à le dire. Or aujourd’hui, on ne s’en approche plus, du média, on y trempe, on s’y désagrège en grosses miettes gorgées de toxiques. On peut encore tenter de s’en dissocier. Tant que la liberté, justement, est encore là, le seul devoir qu’on a sera de s’en servir pour régurgiter, plus ou moins poliment, les messages forcés.

Pour montrer ce qu’ils font. Pour ce seul qui écoute, et qui, prêt à rejoindre les hommes debout, va se relever et s’appuyer un quart de seconde sur ce qu’on a écrit pour se redresser et se mettre en route. Un homme qui marche est une cause libre, disaient les surréalistes, que je n’aime pas plus que cela. Cette phrase, pourtant, je l’aime, et je la montre.

Depuis que je me redresse, car c’est bien long dans l’évolution humaine, toute ma vie a changé. Tout a volé en éclats et continue de le faire. Je ne dis pas qu’il est facile, ni même souhaitable que tout le monde le fasse, je n’en sais rien. Je n’ai pas de plan, je ne sais pas ce que je deviens. J’ai quelques projets pragmatiques, auxquels je ne m’attache que dans la mesure où ils me semblent réellement compatibles avec mon code. Ils sont de ce fait surprenants, et ne me font appartenir à aucune école autre que celle de peser le moins possible sur les autres, de ne pas trop nuire, de consacrer l’essentiel de mon temps à des tâches exaltantes non pas parce qu’une vidéo virale m’en a convaincu, mais parce que le simple fait de les exécuter me rend pleine et consciente. Je ne vois pas d’autre raison de vivre que de me sentir ainsi. Les salles de yoga sont pleines d’individus qui ne recherchent que cela. Pourtant, ils apprennent vite que c’est en dehors de ces salles qu’ils peuvent réellement commencer quelque chose, en intégrant le code qu’ils admirent, ici par exemple celui du yoga, à leur vie pratique, générale.

Parfois, cuisiner ou coller des gommettes avec mon gamin m’est exaltant. Encore faut-il que je m’en dégage le temps. Lire la correspondance d’Yves Bonnefoy, ou concevoir un entretien avec un ancien militaire aussi. Rechercher les sources d’un bug de logiciel, alors que je construis un site m’est exaltant. Car toujours, je trouve. Je m’en fais une quête impossible à négocier, ou à retarder. J’accomplis mes tâches quotidiennes comme si je retirais l’épée du socle. Tout m’est une victoire. Allez comprendre. Je n’ai pu le sentir, le comprendre, l’appliquer qu’après m’être appuyée un temps sur les textes des autres, pour doucement me redresser vers ce qui serait ma vie heureuse, supportable, celle qui ressemble à tant d’autres, mais n’en est jamais la pâle copie. Celle où, malgré les jérémiades, j’ai eu plus de choix que prévu. Plus de liberté, de forces, d’alliés, que prévu.

J’ai effacé, dans le temps, beaucoup de textes, pensant être « passée à autre chose ». Et c’est un fait. Mais alors, pourquoi les craindre ? Il suffira de regarder la date, et comprendre la trajectoire effectuée jusqu’à ce jour. Celui qui ne veut pas regarder cette trajectoire ne comprendra pas encore, qu’il prenne le temps. Cela viendra. À force de lire de bons livres, de bons textes, de faire confiance à son instinct pour le porter où seront les voix qu’il peut entendre. Il pourra s’en méfier, les combattre, les tordre pour voir s’il reste toujours du jus, une fois essorées. Une voix qui conserve son jus, même mille fois essorée, celle-là vous pourrez lui faire confiance. Je remettrai donc en ligne la plupart de mes textes passés. Pour certains, je ne sais même plus comment j’ai pu les écrire, ce qui a bien pu se passer. Mais ils sont là, et m’ont aidée.

Je ne suis pas écrivain, romancière encore moins, je n’ai pas cherché à publier. Pas plus philosophe que critique, pas assez facétieuse et endurante pour supporter longtemps d’être chroniqueuse. Je ne suis plus bloggueuse, car je ne sacrifie plus à la description. Je communique, puisque je délivre des messages, et c’est encore la casquette professionnelle qui me semble la plus juste. Je sais qui je suis, mais je n’ai pas à tout dire, par avance, pour que vous sachiez si oui ou non, vous devez faire l’économie de me lire. Je suis amatrice de raisonnements complexes, et la conclusion rapide, forcément stupide, imposée sur les réseaux sociaux, ne me satisfera jamais dans l’état actuel des choses. J’ai cessé d’y débattre depuis des années. Je débats avec ceux que je rencontre, et avec mon siècle par mes textes, pour préserver un petit temps encore, tout ce qu’il sera possible de conserver d’intelligence malmenée avant que, sans doute, elle ne finisse par entièrement céder aux usages conformes attendus. Je ne peux pas savoir comment, vous, vous lirez. Ce que vous comprendrez, ce que vous garderez. Mais je vous souhaite quelques trouvailles, sincèrement.

Bientôt, donc, je mettrai en ligne ce site, qu’en tentant de construire au plus proche de la hutte qui peut me contenir, je découvre plus simple, plus petit, plus accueillant que prévu. Nos maisons évoluent avec nos trajectoires. Aujourd’hui, je veux construire mon site, j’en ai assez des locations standardisées. Mais pas pour la peindre en rouge ou mettre des bunkers dans le jardin. Pour prendre ma place dans le grand village. Je serai dans la maison, là-bas, au bout du petit chemin, neuve du savoir-faire des anciens, éclairée la nuit et peu fréquentée, uniquement par des passants amicaux ou des démunis qui y trouvent deux trois claques pour repartir, en plus du repas. J’en ouvrirai le grenier, la cave, ces pièces que je n’habite pas mais qui conservent ce que je fus. Le village entier est en construction, c’est maintenant que cela se passe.

À bientôt donc, pour la pendaison de crémaillère.

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