On m’a mise à mort, maman, c’est une honte. J’ai senti la poudre me voilant mes adversaires, ternes mais nombreux. On a traîné mon corps, pourtant, et exposé mon sang. Il faisait chaud, et j’ai échoué.
C’est que je n’ai rien compris à ce combat truqué, c’est que je me suis battue pour de vrai sous les rires, c’était grave, maman, je ne voulais pas renoncer. Je les détestais tous, car ils ne restaient pas, ne savaient pas se tenir droit, ne pouvaient plus respirer dans l’air nu. Je les détestais tous, car aucun ne comptait. Et puis regarde ce qu’ils ont fait, ils ont monté leur armée de courants d’air, ils ont abattu le poing d’un autre, incapables de me regarder sans visière, effrayés d’avoir une idée.
Il faudra faire avec toutes ces soustractions. A force d’en enlever pour m’immiscer j’ai disparu, négative sur les clichés. Mes cheveux ont foncé, mon sourire s’est sacrifié à la concentration d’une mâchoire qui n’en peut plus de se démonter. Mes yeux ont abdiqué. Le métal sur ma peau a poussé. J’ai assumé mon mal de ventre, mes menstruations inutiles.
Non, ce n’est jamais important, maman. Il n’y a rien que je puisse faire qui égalera leur suffisance. Ce n’est pas important que la vérité éclate car elle ne sert à rien.
J’ai trop froid pour penser que la lumière existe. J’ai perdu l’étoile des yeux, il n’y a plus rien qui me contourne, je n’existe qu’à chaque choc qui ne me traverse pas. Mais tout va trop loin et ne s’arrête plus, je ne vois plus les coins, me retrouve à découvert dans un bruit blanc qui dévalise ma joie. Reprendre calmement est une peine trop douce pour mon crime incertain.
Devant le feu éclair je suis de glace, quelle imposture maman, l’amour. Plus de douceur, des couteaux partout, un piège dans la couche, jamais seul, toujours emmuré.
Je suis assise sur les toits des dégénérés qui marchent sans savoir. J’essaye de comprendre la pluie et les regards sans accroche. Je maintiens mes fonctions vitales par réflexe. Je refuse de laisser mes terres. Il n’y a rien qui ne me lasse plus que l’insouciance dissimulée sous l’uniforme, je regarde du dernier étage s’effondrer les escaliers, je suis trop affligée pour mépriser, ce qui m’aurait sauvée, maman. Le chien ne trouverait plus l’enfer s’il devait encore nous y conduire, car nous sommes les morts, maman, et nos cadavres sont parfumés.
Je ne demande plus rien à mon bulbe reptilien, car je ne sais plus expliquer pourquoi je tue pour manger dans cette cité où les singes se maquillent comme des songes. Je ne demande plus rien à personne car je ne sais pas rendre leur monnaie.
Et voilà qu’on me convoque sans carton, qu’on m’attire dans l’arène et qu’on abat sans nerfs mon rêve, mon porte-clés, giflé, humilié par des visages sans ride, des souffles sans odeur, des paumes sans ligne. Je plie, et on m’a mise à mort, maman, c’est un scandale profond, celui que je ne peux crier, qui rebondit dans mes entrailles assourdies, qui va déplacer mes côtes une dernière fois et me laisser inerte sur le bord de moi même. J’avais raison, maman. Moi, j’avais raison. Mais ils m’ont donné tort.
J’ai 16 ans, maman, je suis la dernière de mon clan. Tout le monde dort, et je suis une aberration. Mais je sais où se trouve le gaz.