Je venais vérifier un fracassement, comme on souffle un vieux feu de loin, sachant qu’on ne risque plus rien d’une haleine figée par les stupéfiants. Je suis rentrée maintenant, à vol d’oiseau, plus si loin de toi.

J’écoute le silence lyrique, celui qui s’écoule en boucles onctueuses sur les places vides. J’écoute le silence de la magicienne au piano, au faciès impossible à supporter, inoubliable, une pétrification à en rester seule, seule à se taire tellement son être à elle empoisse tout, tout le monde, et mon silence qui l’engouffre tout entière. Silence, silence partout, ahurie.

À vol d’oiseau vers l’Ouest, je revenais chez moi manifestement pleine. Je m’ouvris un bras, puis un autre, en cherchant un troisième pour punir le fleuve roi qui enflait dans mon ventre. Qu’il sorte ! Qu’on ne me parle plus de silence. Je vous……, non, je ne peux pas. La voix éteinte, vaincue, je fis silence tout de même découvrant qu’il ne contenait rien qu’un bruit blanc de fatigue. Je le fis tout de même. Pour guérir.

Silence, libérée, restée seule. Silence, prévenue, revenue. Silence, sans briser, hurler dans un grand bol clos. Silence pour rien, visage arraché, cheveux brûlés, cherchant les gages partout.

Silence du trottoir qui ne porte plus les jambes, silence du mur qui rougeoie, crépite de flammèches esseulées venant dans un mouvement de doigts caresser votre photo passée, écornée, épinglée là depuis la guerre.

Silence de la démolition d’immeuble en Super 8. Pour sûr, je l’attendais. C’était un danger anticipé, ce fracas saccadé sans poussière. J’avais évacué. Le grand chambardement n’avait plus trouvé rien, personne à retourner. Tout de même, c’était un peu pénible d’être si préparée.

Je venais vérifier que mon antre hantée, griffée d’ongles, sans issue, contenait bien le cadavre de ma prisonnière roulée en boule, ignorée par les siècles, morte de faim et de n’avoir pu toucher une seule âme, une seule, grossie de sa mesure. Mais la captive avait mis le pied dans la porte, écartelé la brèche et s’était enfuie, toutes ces années fondue, glissant dans les coins sages, attendant le retour, faisant croire à sa mort. Il y avait toujours le retour. Libérée, cognée sur le vaste, seule comme avant, sans la sangle, ni la bête crevant au centre. À vol d’oiseau bien loin d’elle, belle jambe que ces espaces, toutes ces possibilités. Voulait revenir et se rouler, en attendant la prochaine brèche. C’était comme trop facile, trop soudain, trop de vent, de lumière, de sourires. Voulait dire merci, voix brisée.

Silence, avait posé sa main sur ma bouche. Silence : car nous ne sommes que ce que nous faisons. Silence, un peu de beauté saura tous les confondre. Silence, un rire fou, définitif, pour une distance de reine, un brouillard de pleurs sur les vrais dans lequel seuls les derniers te retrouveraient.

Mais ils ne te retrouvaient jamais. Tu faisais le bruit du vrai, mais n’étais qu’une réplique du bon grand tremblement.

C’était dur, de tenir, quand même. Il fallait s’appuyer sur un arbre, un étendard, deux.

Silence, attendons le poète.

Il n’y en avait jamais. Le bruit du poète oui, mais le poète ? jamais.

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Pour poursuivre la route ensemble...
Portée profonde – Gary Snyder, La Pratique sauvage

« Sauvage [l’une des possibles définitions] : lieu difficile et dangereux, que l’on pénètre à ses risques et périls, où l’on dépend de ses propres capacités et où il n’est pas question d’attendre de l’aide. » Nous chercherons des réponses dans la profusion de ces pages-jungle constituées par quinze ans de conversations, conférences > Lire plus

Tout se passe toujours sous terre, Dan

Je ne suis pas fière d’écrire ceci. J’aurais voulu des bâtisses solides, je vois des boules de paille s’envoler derrière les vitres sales sur les villes fantômes de pays que je n’ai jamais vus. Parce que je ne veux pas les voir. Parce que l’ensemble détonne. N’est plus possible. Ravale.

Bandol

On a derrière nous, en ombre qui attend sur le chemin, l’année. Cette année d’impatiences, de labeurs, de souffrances, parfois. Une année d’éclats de voix et de rires, de peurs paniques, de nausées du décalage. Une année de crashs et de festins lugubres, de discours mécaniques dans des postes éreintés, > Lire plus

Patrick Tudoret, Super flumina Moraldinis… (Quelques pas sur les bords du fleuve Moreau…)

En 2012, Patrick Tudoret écrivit une "flânerie" puissante inspirée par Marcel Moreau, qui nous a quittés le 4 avril dernier. Il me permet de le reproduire ici en intégralité. Qu'il en soit à nouveau vivement remercié.

Début

Ce n’était pourtant pas le moment le plus parfait d’une journée comme on l’entendrait, mais le rosé coulait dans ma gorge, dans mes veines, et j’entrevoyais enfin les possibles. Bon sang, ma vie m’appartenait, à condition que je sache parfaitement sur quoi elle était fondée. J’entrepris ce soir là les > Lire plus

« Quelque chose est fini » – Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi

Quand on aime le plus intensément, quelque chose est fini.

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