Il parlait sans cesse de l’instant précis où il prenait une vie : de luminosité accrue, de grand silence. J’ai pensé à un orgasme, et je m’en suis voulu. Mauvaise, lubrique. Petite, je pleurais la mort des méchants dans les dessins animés. Je n’ai pas supporté le regard que Godzilla lance avant de s’éteindre. Une profonde tristesse, si immense qu’elle en devenait suffocante, s’emparait de moi, et je quittais la salle.
Ma mère me disait à propos de mes conquêtes, mal choisies il faut croire, « arrête de recueillir tous ces pauvres moineaux. » Mais maman, qui le fera ? Qui va tranquilliser l’informe, maman ? Auprès de qui les mauvais, les décalés, les moches trouveraient-ils repos si personne ne se porte volontaire ?
Je ne savais pas qu’entre mes débauches lamentables et mes errances morbides, j’étais la plus immense des saintes, offerte, soufferte, gracieusement vôtre pour que l’aube pointe dans cette fin de monde.
Je dansais avec un marin rasé de près, à l’aftershave piquant et prégnant, le bal se terminait et ma robe tournait comme une fleur fraîche et précieuse. J’irradiais du bonheur de sentir contre moi un homme. L’harmonica lancinait, sa profonde complainte inscrivait dans ma chair que je ne pouvais pas, non, être seule ce soir. Je savais que toutes et tous m’applaudiraient, m’élèveraient, qu’aucun regard biaisé et malintentionné ne viendrait ternir mon bonheur parfait, et c’était uniquement cela qui me portait, et me faisait transpirer, respirer, être belle. Je regardais dans la foule Arthur Shawcross m’envisager. Il parlait tout le temps de lumière forte, et puis plus rien.
Je savais que je le rendais malade, à danser avec ces beaux hommes formés, attentifs et romantiques. J’en ai joué, bien sûr.
« Honey, what’s wrong with you ? You don’t treat me, darling, like you used to do. »
« Tell me ! » je lui hurlais. « Tell me, sweet bloody son of a bitch, what’s fucking wrong with me ! » et je renversais mon verre de vin dans ma gorge, impatiente d’être tuée.
J’ai toute une vie là-bas, qui est restée en suspens. De l’autre côté de l’océan, là où New York existe enfin. J’ai tordu mes mains dans l’avion, incroyable. Depuis Boston.
Ce qu’elles donnent, ces jeunesses humiliées. Elles ne connaissent plus la crainte, se jouent du respect, confrontent, terminent, surajoutent, finalisent, brûlent des coups d’éclats.
L’Amérique blanche. Mon ultime obsession. Redneck et Budweiser. Vagins découpés au couteau, dégustés au volant. Pantalons gelés sous la glace, putes démembrées et recouvertes, la boue, les feuilles dans la bouche. Petit pénis.
Jeunesse humiliée. De grandes mains, et plusieurs appels au secours. Bribes d’une incommensurable douleur d’avoir des serpents dans le sang. Et la bouche rouge, posée sur lui, dans la chaleur moite du véhicule en contrebas. Le ventre proéminent qui tressaute sous les coups, accompagné du magnifique nocturne 9 de Chopin, celui que ne laisse plus de souffle aucun, et magnifie les bleus sur les cuisses, sur les joues. Les larmes figées. Une perception quelque peu défigurée. Ne plus jamais appartenir à l’homme. Croire que son mal est un appel. Entendre les touches s’enfoncer plus bas sur le clavier triste, se demander qui nous apercevra dans la neige, sentir que la douleur même est une extase, que le sang nous accompagne, que nous sombrons dans la mort violente et digne.
Belle grande et brave nation. Ask Uncle Tom. Where did you learn to cut these girls ? Ask Uncle Tom.
On frappe et c’est toi encore. Qui suppure d’être né. Comment te sauver, pauvre fou, poupon dégénéré, gros, gras, impuissant. À deux doigts de remettre ça.
I could be your perfect nightmare. Well, buddy, I’m not afraid to die. You will. You won’t kill me, ‘cause I love you, I’m not scared, I wanna hold your hands, touch your beautiful eyes, lay down and wait for mercy. I’m your wife, for God’s sake, I don’t care who you’re rapping and cutting, I’m standing right here next to you and I’m never gonna leave. I promised. With my unconditional love, you and your victims will be saved.
Just like that? Cut the crap. Et il frappe, et tant pis.
Petite, ils ne me faisaient pas peur. Je m’avançais, et j’embrassais leurs mains fermées sur les armes. J’avais quoi, huit ans. J’embrassais les mains fermées sur les armes.
I want to go back there.
Il se souvient de ce lapin décapité par terre. Oh, pas pour rire. On rigole moins, gamin, quand on apprend le sang sur les mains. Non, pour la rage d’en finir avec cette niaise incarnation de la douceur parfaite. Oui, toi, connard de lapin.
Elle pense au balai qui lui brisa la paroi. Pas une excuse. Mais comment dire.
Seule et debout au milieu des tripes. Comme elle l’a toujours été. Il suffisait d’une ligne à traverser pour le rejoindre, d’un moment d’égarement.
Thank God, I’ve got no penis.
Though she could smell the call. Understand it. Accrochée sur le rebord de la falaise, elle aurait pu laisser aller.
Un état d’urgence, une vie qui sort de ses gonds, ah ! crache et conquiert le pire. Elle l’avait bien vu faire et s’en moquait en souffrant.
Elle avait toujours eu, de toute façon, un problème particulier pour compatir. Un enfant de moins et quoi ? Un enfant de moins. Un bout de chair blanche balancée dans un ravin. Une femme désirée, obtenue, rejetée. Un bout de chair blanche bleuissant dans les bois. Après, quoi ?
I’m going to go back there, kiss your hands, and forgive. I’m your love, your wife, everything is forgiven.
Mais pour l’heure, je reste prostrée tout contre toi. Et je ne sais pas quoi faire.