« Les codes de la péripatéticienne et du vulgaire sont plus que jamais la tendance automne-hiver 2009 », lis-je dans les dernières fulgurantes pages « Mode » du Nouvel Observateur, il y a quelques temps de cela.

Et merde. L’inquiétude me prend. Ah bon, cela ne suffisait pas de sortir sans jupe ni pantalon, sous une blouse informe, les collants coupés à mi-silhouette, empêchant la souplesse d’une ligne qui n’a droit à aucun envol ? Bon, réfléchissons. Et vite. J’ai bien des collants filés et des talons vertigineux, une bouche qu’il faudra rougir à outrance, et des ongles à peindre. Un gilet en fausse fourrure –  afin de ne pas choquer bêtement l’opinion publique. Je peux respirer. J’ai même une frange, bien qu’en sursis, car cela semble n’avoir que trop duré. J’ai bien failli, cette fois-ci, n’avoir pas de quoi emprunter le nouvel uniforme et, horreur, me faire remarquer. Par contre, il va falloir que je fasse attention au livre à assortir à ma tenue. Si je dégaine dans le métro un Saint Augustin, je serai probablement la fille la plus cool du monde, mais trop sûre d’elle. Peut-être Au secours, pardon, pour étiqueter mon côté fragile et envoyer les signaux paradoxaux torrides de rigueur au type d’en face, confus de subir, lui, ces inconfortables chaussures pointues posées malhabilement au bout d’un pantalon trop moulant pour sa virilité. J’ai tout de même un problème : il me reste quelques kilos disgracieux qui supporteront mal la proximité de ces étoffes possessives, et risqueraient d’engloutir le nouveau petit modèle d’homme qui m’arrive à présent à l’épaule.

Pourtant j’ai drainé, comme on me l’a demandé. J’ai bu de l’eau, c’est la bien triste vérité. J’ai appris le goût de la tisane au fenouil, mais ne crains pas la rouille car mon armée d’antioxydants remettrait sur les flots le plus ravagé des navires. Même L’Estonia, n’en déplaise aux Suédois. Je connais même bibliquement, depuis peu, l’endorphine de leur sport, à ces suédois, et la torture consentie de remuer rapidement, en rythme, avec mes congénères (je parle de gymnastique, bien que le sexe suédois soit probablement également à la mode). Et puis surtout, bien que tous les régimes nous assurent du contraire, j’ai arrêté de manger. Et j’y suis presque, je brûle, je fonds, j’affine, je vais donc disparaître parfaitement dans les boyaux de la station Nation. Je connais le trouble ravageur du doute, lorsque je dois arrêter un poids idéal (je ne sais pas après tout, 2 kg ? C’est bien 2 kg, et ça se glisse partout). Je résiste à la tentation de m’arracher la chair pour y glisser un aspirateur et qu’on en finisse une bonne fois. Mais non, c’est encore un fait remarquable, et je ne dois pas éveiller l’attention. Il subsiste un souci : j’ai l’uniforme, la forme, il me faut un homme, et une fonction.

Alors pour l’homme, je préviens tout de suite que ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais je ne comprends pas exactement ce qui est le plus convenu : en avoir un à brandir comme un carnet de vaccins ou plusieurs, mêlés à autant de femmes, pour afficher ouvertement son appétit de la vie. J’opte donc pour l’option floue, à savoir le mystère. Et cela m’évite l’humiliation de Meetic dont on m’assure par ailleurs qu’on y fait de très belles rencontres. Mais pourquoi Meetic alors que d’autres sites gratuits de rencontres, comme Facebook, rassemblent les Frida et Diego Rivera de demain ? De tout à l’heure pardon, car cela va bien plus vite que demain. Manquant de réponses, et circonspecte quant à la méthode à appliquer pour débusquer le mâle pâle et déjà sollicité à outrance, je profite d’une récente expérience malheureuse pour m’éviter d’avoir à me justifier d’être en jachère. Alors passons à la fonction.

Pute c’est fait, ferme, c’est en bonne voie, maquée, on verra tout à l’heure si je me fais ce fameux profil. Il me faut à présent un espace à arpenter, le talon fier et la fesse galbée. Il me faut, et jusqu’à l’épuisement, renoncer à rester immobile. Quel gâchis sinon, de garder ces trésors confinés dans les murs. Pourtant je travaille tout le temps, jusqu’à n’être plus bien sûre du moment véritable où j’ai débauché. Mais cela ne suffit pas, car il ne faut pas faire que travailler. Je dois me cultiver, les expositions se prêtent bien aux défilés, et mes bottes vont à ravir avec Vermeer. Je dois me détendre. Si je rentre avant 21h, attention, je vais me faire remarquer. Je trouve donc tout un tas de gens à voir que je n’ai pas envie de voir, tout un tas de magasins où me cacher en attendant que l’heure m’autorise à rentrer. Alors je me retrouve dans une galerie de peintures hideuses, affalée dans les fauteuils avec un gay à qui j’avoue que je préfère mille fois les chaises électriques et la vodka en perfusion pour décorer mon salon qu’un vase feng-shui dans lequel aucune fleur ne rentre, et que je ne saurais de toute façon pas décentrer correctement en l’accrochant  à un mur nu et désolé. Mais je me tais plus vite que prévu, même s’il m’encourage, m’avouant en baissant le ton (on pourrait nous entendre) qu’un de ses tableaux préféré est une enfilade de sodomies, et que c’est perturbant à côté de son mobile d’origamis. Il ne faudrait pas non plus qu’on nous remarque. Je me penche vers des insectes coulés dans du plastique et des plateaux en fer forgé avec un portrait de canard habillé en Marie-Antoinette. J’opine du chef, en cherchant la contrepèterie de ma posture. Il est  21h, fuyons.

Mais même arrivée enfin chez moi, j’ai encore d’autres obstacles. C’est l’heure des opinions, il me faut réagir. J’allume la télévision, et je parcours la Toile. J’adresse, piquante, des messages à des interlocuteurs fantômes, dont je peine à comprendre les réponses. Je parle toute seule sur un blog qu’il me faut alimenter sans cesse sous peine de le voir déserté. Je fulmine, rageuse et révoltée, de l’imbécilité de tout le monde sauf de moi-même, écoute Shakira en cachette, puis à découvert parce que cela fait encore de moi la fille la plus cool du monde, si par ailleurs je l’écoute en lisant Plutarque. Ah non, j’ai encore ripé de la sphère, ce n’est pas Plutarque qui rend cool, c’est Jan Karski.

De toute façon, ce n’est pas le moment de lire. Lire, c’est quand on n’a plus que cela à faire, et pour se détendre. Non, ce soir, c’est surprise-party. Il est important de s’amuser. Là, je peux écouter Britney Spears en fantasmant sur ces courbes parfaites que mes mouvement suédois ne manqueront pas de me prodiguer afin de délivrer enfin l’hydre lubrique qui sommeille dans ma peau d’orange, ivre jusqu’à la lie, me déhanchant avec un homme déguisé en Geneviève de Fontenay, sous l’œil attendri de proches qui croyaient vraiment que je n’étais qu’une grande austère réactionnaire, comme s’ils me découvraient subitement alors que je ne sors d’aucun chapeau. Je m’approche fascinée de Blanche-Neige. C’est la première fois que j’envisage une femme plus grande que moi. Je suis rassurée, c’est un homme. Ah non, il est gay, j’avais encore oublié. Ils se ressemblent tous tellement, il faut me pardonner, on ne distingue plus les gays des autres. J’ai la mauvaise musique qui assomme mes tympans, je trébuche en ne pensant plus du tout à l’arianisme dans les conciles de l’Empire chrétien. Je suis une bête ondulante et transpirante, entourée d’une assemblée grimée et masquée, et je n’en pense pas pour autant à Kubrick non plus. Geneviève de Fontenay est malade, il est tellement beau, j’admire ce corps parfaitement urbain. Je suis triste pour lui, sincèrement. Je voudrais le prendre dans mes bras, caresser sa peau lustrée. Fêter ses 30 ans la tête dans l’évier, c’est tristement banal, et la beauté mérite un peu plus que cela. Clark Kent a déchiré son costume, Robin des bois embrasse mon miroir, laissant des traces de rouges à lèvres que je n’ai toujours pas nettoyées. Se souvenir des belles choses. Et moi, Mia Wallace sans seringue, je me demande de quelle poudre je vais bien pouvoir recouvrir ces affronts à ma suprême intelligence, lorsque le matin se lèvera et qu’il faudra retourner aux piles antiques.

Mille excuses. Je divague. Et dire que je n’ai pas encore tout comblé des minutes affolées que je compte à mon pacemaker : je n’ai pas de mouflons à emmener demain à l’école, des paillettes encore collées sur mes pattes d’oie tout à fait « trentenaires ». Par contre, il faut que je m’occupe de ce siphon bouché, que je change les bielles coulées et que j’arrête d’appuyer machinalement sur le bouton de l’ascenseur. Il ne fonctionne plus. Il faudra que j’en réfère.

On me parle à nouveau, je raccroche mes wagons malgré la gueule de bois. Et je dois nonchalamment relever la tête – on ne doit pas brutaliser son corps, regarder dans le vague et lancer à une assemblée moqueuse : « En même temps, le dernier Beigbeder, il est vraiment bien. » Répétant ce qu’on me dit, puisque je ne l’ai pas lu. Cela dit je n’en démords pas, je repense à ces chaises électriques de salon, c’est tout à fait feng shui selon mon idée de l’harmonie du monde. Je commence à relâcher l’attention, et je me mets à débiter des paroles étranges, ce qui me vaut quelques regards en coin « Mon dieu, on la perd, ah ! au fou ! ». J’ai juste dit que je trouvais que dans le livre que je lisais en ce moment, il faisait 30 degré de plus que dans mon appartement, monastère suédois (encore ??) dans lequel on a complètement oublié d’allumer la chaudière. Tout ceci lui confère le charme « mansarde d’auteur maudit », à la page 4 du catalogue « Intérieurs phtisiques ». Mais j’ai déjà trop romancé ma réponse, j’aurais juste dû dire que c’était « Génial ». Tout est contenu dans le combat cosmique du « Nul » et du « Génial », comme dirait l’auteur que je lis donc. Et je me sens bloquée dans cet ascenseur infernal où le portier dévore sa femme, lorsqu’on m’accule de la sorte à donner mon avis. De toute façon ils ne voient pas du tout de quel livre je parle. Parce que j’aurais dû dire : « Je lis le dernier Beigbeder, il est plus honnête que le bouquin de Haenel qui ne fait que répéter les dires d’un homme qui a par ailleurs déjà écrit. » Parce que je devrais les avoir d’ailleurs déjà lus. Etant entendu qu’il ne vient à l’idée de personne que les résumés que l’on me fait des uns ou des autres ne me donnent que l’envie de retourner aux 40 degrés de mon Argentin paranoïaque.

En passant, une publicité me fascine, pour un jeu vidéo, dont je dois là encore trouver admirables les avancées technologiques puisque, nous assure-t-on, c’est l’avenir du cinéma : être interactif. Et voilà. Je propose, afin de mieux m’intégrer à la mouvance générale, de découper les visages des tableaux afin de pouvoir nous y glisser sans peine et ainsi interagir avec De Vinci ou Rembrandt, mais on me somme gentiment de retourner à mes chaises électriques argentines, s’ils ont bien compris. C’est ça non ? Non.

La publicité nous vante donc : « La guerre, comme si vous y étiez ». Je me dis que cela doit être « Génial » de jouer à la guerre, comme si on y était. J’essaye d’ironiser en me retournant vers mes amis mais je me rappelle alors que je les ai déjà laissés  pour ce jour, prétextant du travail. Je me vois mal tirer sur la manche du type d’à côté, exactement le même d’ailleurs que celui du métro (les choses sont bien faites), pour lui demander si ce n’est pas parfaitement « Nul ». Mais je m’abstiens : je suis déjà folle, je ne vais pas en plus le faire remarquer.

Mais vraiment, frôlée par les obus de pixels, courant sur mes talons en tirant sur une jupe que Madonna avait pourtant reniée, récitant ma rentrée littéraire et les vannes qui sont de mise, tapotant mon Iphone pour savoir si Grand Machin maître vaudou de mes humeurs utérines n’a pas déjà répondu à un message qui ne comportait aucune question, en me demandant combien de cellules adipeuses j’ai encore foudroyées aujourd’hui, persuadée que de m’épuiser dans une vie follement riche, légèrement assombrie par les tâches inquiétantes de vin rouge sur le canapé blanc et l’horloge biologique qui ne veut toujours pas sonner, me donnera la crédibilité de femme véritable à la condition rocambolesque, Wonderwoman qui tente de cacher ce qu’elle lit en racontant des conneries, tente de masquer sa fébrilité dans un mépris écrit, pleure devant Ally McBeal dont elle déplore pourtant, envieuse, l’anorexie, chante par cœur Lily Allen qu’elle considère par ailleurs comme une parfaite connasse en regardant, envieuse, le marchand d’art quinquagénaire accroché à son bras, frôlée par une rafale « pour jouer », des crampes sous la courbure des pieds, le rouge coulant dans les fissures, le vin attaquant les parois, vomissant et rageant de vomir sur les chaussures du type du métro qui est bien celui de l’affiche, gay et suédois avec la chance que j’ai, et qui m’a suivi tout ce temps le salaud et… bon allez, il suffit.

De toute façon, je peux bien faire tous les efforts du monde pour participer un tant soit peu à toute cette mascarade, et me donner des airs de mieux (et donc ennemie du Bien) en écrivant des histoires, je suis une paria, et cela à cause de deux simples mises à l’écart volontaires qui ne me seront jamais pardonnées : je n’ai pas lu Harry Potter, et ne suis pas sur Facebook. De plus, je ne crois pas à la psychanalyse, et c’est bien normal, puisque je suis folle. C’est déjà un miracle que mes derniers amis ne m’en tiennent pas rigueur.  La guerre, comme si vous y étiez. Habillée en pute.

Tout bien considéré, il n’est pas si difficile de ressembler à tout le monde. Je me demande tout de même avec une palpable appréhension, à quel moment précisément je suis devenue parisienne.

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