« Notre civilisation, n’en déplaise à Chesterton, est fondée sur le charbon, beaucoup plus qu’on ne l’imagine tant qu’on ne prend pas la peine d’y réfléchir. Les machines qui nous aident à survivre, et les machines qui fabriquent ces machines, dépendent toutes, directement ou indirectement, du charbon. Dans le métabolisme du monde occidental, le mineur de fond est le second, par ordre d’importance, après l’homme qui laboure le sol. C’est une espèce de caryatide sur les épaules de laquelle repose presque tout ce qui n’est pas crasseux. A ce titre, le processus concret d’extraction du charbon mérite d’être observé, si on a l’occasion et l’envie de s’en donner la peine.
Quand on descend au fond d’une mine de charbon, il importe d’essayer de rejoindre le « front de taille » où les « chargeurs » sont à l’œuvre. Cela n’est guère facile, les visiteurs étant considérés comme gênants dans une mine en exploitation où l’on ne favorise pas leur présence, mais si l’on s’y rend à tout autre moment, on risque de revenir avec une impression entièrement fausse. (…) Il faut la visiter lorsque les machines grondent et que l’air est noir de la poussière du charbon pour bien saisir en quoi consiste le travail des mineurs. Alors l’endroit évoque l’enfer, ou du moins l’idée que je me fais mentalement de l’enfer. »
George Orwell, Au fond de la mine, in Ecrits de combat, traduits et préfacés par Lucien d’Azay, Editions Bartillat, 2021, pages 43-44.
« George Orwell est un saint. Un saint laïc, mâtiné de justicier, si l’on préfère (mais il aurait sans doute désapprouvé cette définition). Sa démarche empirique s’apparente au franciscanisme de la première heure. Son évangile, c’est le socialisme démocratique. Comme François d’Assise, il se range toujours, quelles que soient les circonstances, du côté des laissés-pour-compte, des indigents et des êtres vulnérables : prolétaires, ouvriers, mineurs de fond, paysans, clochards, colonisés, immigrés, forçats, fugitifs, victimes de préjugés racistes, proscrits, excommuniés, réfugiés politiques, malades, infirmes, orphelins, veuves, femmes battues ou mises au ban de la société, etc. En qualité de pamphlétaire, sa position est sans équivoque : il ne s’en prend qu’aux puissants au profit des défavorisés, tous ceux que la société, totalitaire ou libérale, asservit, exploite et martyrise. (…) Le journalisme que pratique Orwell est jusqu’au-boutiste : il fait appel aux vertus les plus nobles du métier – courage, rigueur, souci de vérité objective et d’information exacte – et les pousse à leur paroxysme comme s’il brandissait une épée ou une oriflamme. (…)
Comme la plupart de saints, Orwell dérange, et son martyre est d’avoir toujours prêté le flanc, jusqu’à aujourd’hui, à la diffamation. Rarement un écrivain aussi manifestement juste et incorruptible a été aussi souvent victime de calomnies. On lui a reproché d’être misogyne (…) ; homophobe (…). Enfin plus grave, on l’a accusé d’avoir dénoncé des sympathisants du Parti communiste à la police anglaise. Cette accusation a été maintes fois démenties mais la calomnie n’a pas cessé pour autant ; un écrivain français a encore récemment stigmatisé Orwell comme délateur.(…) Quant à sa défense des déshérités, elle ne pouvait valoir à Orwell que la qualification infamante d’ « écrivain populiste ». (…) Récupéré aujourd’hui aussi bien par l’ultragauche, en tant que champion de l’Independent Labour Party contre le fascisme et le totalitarisme, que par la droite réactionnaire, en tant qu’ « anarchiste Tory », comme il se désignait lui-même par cette boutade, et aussi parce qu’il a passé sa vie à critiquer les « gauchistes », il embarrasse néanmoins les deux camps, signe manifeste de sa singularité et de son indépendance d’esprit. Comme l’a observé Christopher Hitchens ( Why Orwell Matters, 2002) : « la lecture d’Orwell ne vous incite pas à blâmer autrui ; elle vous enseigne à assumer vos propres responsabilités, et c’est précisément pourquoi il sera toujours respecté et aussi détesté. Je ne crois pas qu’il aurait voulu qu’il en soit autrement. » »
Lucien d’Azay, extrait de la préface du présent volume.
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Résumé de l’éditeur :
Bien connu pour ses romans salués comme des classiques, 1984 et La Ferme des animaux, George Orwell est aussi un essayiste hors pair. Dans ces textes d’intervention s’expriment toute son attention et toute son humanité.
Le présent volume recueille quelques-unes de ses plus importantes contributions de 1931 à 1946 : « Une pendaison », « Comment j’ai tué un éléphant », « Au fond de la mine », « Souvenirs de la guerre d’Espagne », « L’esprit du sport », « Pourquoi j’écris », « Comment meurent les pauvres ». On y trouvera aussi une évocation de Marrakech, ainsi qu’un essai capital consacré à Charles Dickens, un de ses modèles littéraires qui l’inspire également dans le champ politique et social. Comme le rappelle dans sa préface Lucien d’Azay, Orwell « se range toujours, quelles que soient les circonstances, du côté des laissés-pour-compte, des indigents et des êtres vulnérables : prolétaires, ouvriers, mineurs de fond, paysans, clochards, colonisés, immigrés, forçats, fugitifs, victimes de préjugés racistes, proscrits, excommuniés, réfugiés politiques, malades, infirmes, orphelins, veuves, femmes battues ou mises au ban de la société, etc. »
Orwell fut un écrivain engagé dans son temps. Sa capacité de vision continue d’inspirer notre présent et notre avenir. Nul doute que ce précieux recueil rassemblant ses essais les plus pertinents contribuera à éclairer sa pensée large et démocratique, interprétée par les esprits les plus divers en un temps empreint de profondes interrogations. Plus que jamais la présence d’Orwell s’inscrit dans le débat contemporain.