Liam et Pad, deux frères irlandais au sang Atlantique, isolés sur Horse Island, escaladent inlassablement leurs falaises afin de préparer un périple ultime dans la région du Kham, au Tibet, pourtant interdite aux étrangers. Parvenus sur place, aidés par les nomades khampas, ils cherchent à atteindre le Phur-Ri et son sommet encore inexploré, réputé éphémère, hanté et qu’on dit le plus haut du monde.
Mais un seul frère redescend.
Seul au milieu des souvenirs accumulés dans leur maison de l’île frappée par les éléments, Pad reconstitue par bribes (des strophes non versifiées, phrases hachées comme en apesanteur, au flot comme continu) cette ascension en négatif, pour élucider une étrange emprise familiale et ses absences en creux, l’amour sans langage commun, le voyage subi et les rêves poursuivis qui ne sont pourtant pas nôtres alors que l’entente du duo convoqué n’a pas tourné comme espéré.
Le style de cet objet littéraire autrichien épouse le sujet, flottant, froid et dense comme une glace à la dérive, parfois difficile à suivre mais invitant au défi, précis jusqu’à la raréfaction de l’air, pas nécessairement poétique (l’écrivain prend d’entrée de jeu ses distances avec le poème). Lorsqu’on l’a gravi et que la dernière page se tourne, le vertige demeure, et laisse interdit. Qu’avons-nous lu exactement ? Incertitude.
Pourtant les deux frères ont gravé leurs passages dans le galet de la rivière, qui poursuivra sa course erratique sans aide en formulant sa prière : c’est peu de dire qu’il lancine.
Il ne s’agit peut-être pas de la plus remarquable lecture de ces derniers mois, mais le plaisir intense de retrouver, assourdissants, les échos qu’avaient envoyés Xinran depuis Funérailles célestes, ainsi que le souffle de cette forme libre et ses cadres géologiques suffisent à me le rendre très attachant.
Christoph Ransmayr, La Montagne volante [2006], traduit de l’allemand [Autriche] par Bernard Kreiss, Albin Michel, 2008, 352 pages.