« L’idée est là mais j’arrive pas à transpercer la peau. je reste à la surface. La poésie ne m’intéresse pas. Je ne sais pas ce qui m’intéresse. Noyer l’ennui, j’imagine. La poésie à proprement parler me paraît morte même si elle a belle allure. » 1953
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« Ai écrit une histoire à ce sujet intitulée « Bière, vin, vodka, whisky ; vin, vin, vin » et l’ai envoyée à Accent. Ils me l’ont renvoyée : … « quelle débauche de sang. Peut-être, un jour, le goût du public s’accordera avec les vôtres. »
Mon dieu. J’espère que non. » 1955
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« Je ne crois pas aux histoires de techniques, d’écoles ou de divas… Je crois plus au fait de s’accrocher aux rideaux comme un moine ivre mort… pour les réduire en morceaux encore, encore, encore… » 1960
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« Ces gens intelligents me brisent les noix. Chaque nouvelle œuvre pour moi (POUR MOI !!!) est un NOUVEAU DEPART. Bon dieu. Comment puis-je savoir autrement si je suis mort ou pas ? ce qui tortille, ce qui donne. les chattes. Il faut que je voie les chattes. Chaque fleur est une nouvelle fleur. Les autres sont morts. Ils ont peut-être existé, mais ils sont morts. Je sais bien quand je regarde un pont ou un immeuble que cette chose est une COMPILATION de soi-disant savoir. Alors va te faire baiser par un cheval. Quand j’écris un poème, je rajoute un boulon, un boulon à tête rouge avec un ventre acide et un putain d’arrière-train. Ou peut-être – encore mieux – J’ENLEVE UN BOULON. Mais j’ai aucune envie de me retrouver paralysé par ces thèses prétentieuses. Si cette garce veut venir dans mon pieu et chevaucher le printemps avec moi, ok. Sinon, il va sans dire que mes idées ne sont pas « lumineuses ». Quelqu’un m’a dit qu’il avait vu Mailer à la télé. Qu’il était très névrosé et ne pouvait finir une phrase. Mailer ne représente peut-être pas grand-chose mais son attitude a tout à voir avec l’écriture. Si une personne est très nerveuse au point de ne même pas pouvoir finir une phrase il y a plus de chances qu’elle fasse un bon écrivain que l’inverse. Où est le problème ? Tout le monde voit les choses à l’envers ? » 1962
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« SI TOUT LE RESTE EST AFFREUX, EST MORTEL, ALORS N’EST-CE PAS NOTRE DEVOIR D’ÊTRE MAGNIFIQUES ? » Me criez-vous en lettres capitales. Ronald, « devoir » est un gros mot, et « magnifique » un mot humiliant. Si vous voulez faire mordre la poussière à quelqu’un – demandez-lui juste d’être « magnifique ». 1967
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« Sur la poésie des Surfaces, je suis bien content d’être aussi sauvage qu’on le dit, content d’être affilié nulle part, et tu peux le comprendre, bien sûr, car tu sembles voir bien au-delà des apparences. J’ai passé des heures à la bibliothèque en compagnie de Schope[nhauer] et Ari[stote] et Platon et tout le reste, mais quand des espèces de crocs s’enfoncent dans ta peau ça n’appelle pas au calme et à la méditation. (…) Dieu est très loin de moi, peut-être quelque part à l’intérieur d’une bouteille, et oui j’suis vulgaire, ils m’ont rendu vulgaire, et d’une autre façon je suis vulgaire parce que je veux restituer les choses telles qu’elles sont – que ce soit, le couteau qui pénètre dans la chair, ou bien reluquer le trou de balle d’une putain, c’est là que se trouve la poésie, et j’ai pas plus envie qu’on me prenne pour un con que de prendre les gens pour des cons. Imaginons, même, de manière subconsciente, qu’une part de moi raisonne en termes de SIECLES, ce qui facilite pas la tâche. Une grande part de ma prétendue bêtise, vulgarité ou balourdise sert à éliminer la merde de cheval. Peut-être ai-je compris que tout ce bordel sentirait plutôt mauvais si je me contentais de raconter beaucoup de choses que j’estime vraies sans les avoir vérifiées. Je pense que je pourrais me mettre les gars dans la poche. Je pense que je pourrais leur débiter du vocabulaire à la chaîne comme un distributeur de tickets automatiques, mais je pense qu’à la fin les mots qui resteront seront ceux qui ressemblent à de petits cailloux, ceux qu’on pense et qu’on dit (…)
Ils croient que je m’en fous, ils croient que je ne ressens rien sous prétexte que mon visage est flétri et que les yeux me sortent de la tête tandis que je parcours le journal hippique une bouteille à la main. Ils ressentent les choses de façon si CHARMANTE, les enculés, les connards, les suceurs de citron de merde aux sourires visqueux, ils ressentent COMME IL FAUT, bien sûr, seulement ça n’existe pas les bonnes façons de ressentir, et ils finiront par s’en rendre compte… une nuit, un matin, ou peut-être un jour sur l’autoroute, dans un dernier grondement de verre et d’acier, de vessie déchirée, dans le rose grandissant du soleil couchant. Ils peuvent prendre leur liesse, leurs éléments métriques et se les mettre dans le cul… s’il n’y a pas déjà quelque chose fourré là au fond.
Du reste, ça paye d’être grossier, mon pote, ça PAYE. Quand ces femmes qui ont lu ma poésie frappent à ma porte et me demandent de leur servir un verre, et qu’on parle de Brahms de Corrington ou de Flash Gordon, elles savent bien COMMENT TOUT ÇA FINIRA, et ça rend la conversation agréable.
car très bientôt le bâtard se contentera
de marcher vers moi pour m’attraper
et me baisera
car il n’est pas né d’hier
c’est une BRUTE
Et donc, puisqu’elles n’attendent que ça, je fonce, et ça permet d’évacuer rapidement tout un tas de barrières et de discussions superflues. Les femmes aiment les taureaux, les enfants, les singes. Les beaux parleurs et les gentils garçons n’ont aucune chance. Ils finissent dans le placard à se branler.
Il y a un gars au travail, il dit, « Je leur récite du Shakespeare. »
Il est encore puceau. Elles savent qu’il a les jetons.
Bon, on a tous les jetons mais à un moment il faut aller au charbon. »
Charles Bukowski, Lettre à John William Corrington, 1er mai 1963, in Sur l’écriture, traduit de l’anglais par Romain Monnery, Au Diable Vauvert, 2017.