En souvenir de José Ortega Y Gasset, mort un 18 octobre, en 1955.
« Sur toute la surface de l’Occident triomphe aujourd’hui une forme d’homogénéité qui menace de consumer ce trésor. Partout l’homme-masse a surgi – l’homme-masse dont ce livre s’occupe –, un type d’homme hâtivement bâti, monté sur quelques abstractions et qui pour cela se retrouve identique d’un bout à l’autre de l’Europe. C’est à lui qu’est dû le morne aspect, l’étouffante monotonie que prend la vie dans tout le continent. Cet homme-masse, cet homme vidé au préalable de sa propre histoire, sans entrailles de passé, et qui, par cela même, est docile à toutes les disciplines dites « internationales ». Plutôt qu’un homme c’est une carapace d’homme, faite de simples idola fori. Il lui manque un « dedans », une intimité inexorablement, inaliénablement sienne, un moi irrévocable. Il est donc toujours en disponibilité pour feindre qu’il est ceci ou cela. Il n’a que des appétits ; il ne se suppose que des droits ; il ne se croit pas d’obligations. C’est l’homme sans la noblesse qui oblige – sine nobilitate –, le snob. [1]
[1] En Angleterre, les listes de recensement indiquaient à côté de chaque nom la profession et le rang de la personne. À côté du nom des simples bourgeois on mettait l’abréviation s.nob (sans noblesse) ; d’où le mot « snob » »
José Ortega Y Gasset, La Révolte des masses [1930], traduit par Louis Parrot, Les Belles Lettres – 2010, page 58.