« Certains demanderont pourquoi une personne jouissant d’estime et d’affection vit seule… comme je n’ai pas de réponse, j’invoque le destin, et j’explique tout bas que même la mort ne doit pas émouvoir ces gauchos, si versés en immémoriale solitude. »

De retour d’un voyage en France où nul doute que ses rencontres, enchantées par l’évocation à tous les coups magique que produit le mot « Argentine » l’auront éreinté de représentations de la pampa et des gauchos, Adolfo Bioy Casares entreprend en 1970 l’écriture d’un court texte d’humeur allègre, afin de tenter de rétablir la trace plus nette dans l’esprit et la fierté nationales de deux termes, pampa et gaucho, fort mal utilisés par d’inévitables touristes pressés ou intellectuels romantiques n’ayant jamais mis un pied, ou presque, dans leurs propres campagnes sans se pincer le nez.

Le « gaucho », cet être en marge vissé à son cheval, au cœur de 900 km sans arbres ni pics qui crèverait un peu le ciel pour le faire redescendre, veillant au bétail dans de vastes estancias pas toujours accueillantes, figure archétypale du peuple argentin depuis le poème Martin Fierro de Jose Hernandez, qui peut en parler puisque lui-même ne se parle pas ? Qui peut prétendre connaître son territoire s’il ne l’a traversé, encore que bien vite, qu’en train ou en automobile ?

N’ayant pas plus vécu lui-même cette existence venteuse et revêche que Borges à son heure d’écrire sa lecture de Martin Fierro, ni qu’Hernandez à l’heure de poétiser ce gaucho, Adolfo Bioy Casares apporte son eau au moulin de la légende en collectant les représentations de films, arts populaires et rencontres individuelles traversant l’histoire du cliché en saluant la nuance.

Une tentative de chercher le gaucho partout, surtout où il n’est pas. De le prendre au lasso de sa plume, puis de repartir sans en savoir beaucoup plus, Reste le mythe fondateur, celui d’un peuple difficile à compter, dompter et rassembler.

Très bellement mis en page avec des photographies d’époque dans la belle collection géographie(s) des éditions suisses Héros-Limite (2019), collection accueillant également Le Martin Fierro de José Luis Borges (2012), et traduit par Julia Azaretto et Paul Lequesne, cette curiosité se lit vite et avec gourmandise, comme un document de plus à verser au dossier troué d’absences volontaires sur les modes de vie de ceux qui n’ont pas souhaité rejoindre les allées du pouvoir ni les concentrations urbaines. Et il se garde sous la main comme un rappel, lorsque nos propres représentations se figent à nouveau sous un trop fort soleil.

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