Self-Reliance est le deuxième des douze essais rassemblés dans le volume Essays de 1841, édition révisée en 1847, ici traduite par Stéphane Thomas qui y apporte un surcroît de notes gourmandes, tirées d’autres écrits d’Emerson difficiles à trouver, voire introuvables en français.
Concept-clé du farouche autonome, « hyperthéiste », qu’était Emerson, la self-reliance (autonomie de pensée s’associant à l’idée d’avoir confiance en ses capacités de discernement) trouve dans cet écrin nouvellement republié une élaboration mutine en forme de « défense de paraître » campée dans ses bottes. Un en-cas de rêve dans les bois dont on sait s’entourer, jusque dans la foule.
Extraits :
Chacun devrait apprendre à déceler et à observer les éclats de lumière qui viennent du fond de son esprit, plus que les scintillations du firmament des poètes et des sages.
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Qui peut ainsi éviter tout engagement et exprimer son opinion, aujourd’hui comme hier, avec la même innocence inaltérée, impartiale, incorruptible, impavide – celui-là sera toujours redoutable. Ses avis sur les affaires en cours, perçus comme dictés non par des motifs personnels, mais par la nécessité, pénétreront comme des flèches dans les oreilles de ses semblables saisis d’effroi.
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J’ai honte quand je pense à la facilité avec laquelle nous capitulons devant les insignes et les noms, les grandes collectivités et les institutions mortes.
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Votre bonté doit avoir du tranchant – ou elle n’est rien. Il faut prêcher la doctrine de la haine comme antidote à celle de l’amour quand il se met à gémir et à pleurnicher. Je fuis père et mère, femme et frère quand mon génie m’appelle. J’écrirais volontiers sur les montants de la porte : « Caprice ». J’espère qu’à la fin ce sera mieux qu’un caprice, mais on ne peut pas perdre la journée en explications. N’attendez pas de moi que je vous dise pourquoi je recherche la compagnie ou pourquoi je l’évite.
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Je ne veux pas expier, mais vivre. Ma vie est à elle-même sa propre fin, elle n’a pas à se montrer en spectacle. Je la préfère de loin sur le mode mineur, si elle est égale et authentique, plutôt qu’étincelante et instable. Je souhaite qu’elle soit saine et douce, et puisse se passer de régime et de saignée.
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Dans le monde, il est facile de vivre selon l’opinion du monde; dans la solitude, il est facile de vivre selon la sienne ; mais le grand homme est celui qui, au cœur de la foule, garde avec une parfaite douceur l’indépendance de la solitude.
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Les hommes s’imaginent qu’ils ne révèlent leur vice ou leur vertu que par des actions ouvertement accomplies, ils ne voient pas que vice et vertu respirent à chaque instant.
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J’espère que nous n’entendrons bientôt plus parler ni de conformisme ni de constance. Que ces mots désormais soient abrogés et tenus pour ridicules. Que retentisse non la cloche du dîner, mais un coup de fifre spartiate. Ne nous inclinons, ne nous excusons plus jamais.
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Un homme vrai n’est ni d’un autre temps, ni d’un autre lieu, il est le centre des choses. Là où il est, là est la nature. Il vous mesure, et tout homme et tout événement.
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Quand les simples particuliers agiront selon des opinions originales, la gloire passera des actions des rois à celle des gentlemen.
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Seul vivre importe, pas d’avoir vécu.
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J’aime le silence de l’église avant le début du service plus que toute prédication.
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Ami, client, enfant, maladie, peur, besoin, charité, tous à la fois frappent à ta porte et t’appellent : « Viens avec nous. » Mais ne bouge pas; ne rejoins pas leur tumulte. Le pouvoir qu’on a de me déranger, ce n’est qu’un peu de curiosité qui l’accorde. Nul ne peut m’approcher que de mon fait.
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Qu’un stoïcien révèle leurs ressources aux hommes, et leur fasse comprendre qu’ils ne sont pas des saules qui s’inclinent mais qu’ils peuvent et doivent se détacher.
Ralph Waldo Emerson, Compter sur soi [Self-Reliance, 1841], traduit de l’anglais et annoté par Stéphane Thomas, Editions Allia, 2024, 72 pages.