La revue Philitt réussit sa mue et devient, aux premiers beaux jours, non plus revue mais véritable livre, grâce aux bons soins des éditions R&N.

La souplesse de ce 11e volume, sous couverture à rabats, à l’intérieur composé en équilibre entre audace et classicisme, procure en lui-même un beau plaisir.

À l’intérieur, nous retrouvons des amis, passés et présents, à venir sans doute, qui tous déclinent le thème du déclin. Ils le déclinent, pour beaucoup, dans tous les sens du terme. Et c’est leur joie et leur allant que j’ai envie de retenir, de chérir ici. Leur santé. La joie et l’allant, la santé envers et contre tout, contre tous – qui se font gardiennes paisibles des cris, des feux sacrés auxquels il n’est nul besoin d’ajouter qu’ils sont les derniers. Derniers cris, derniers hommes libres ? Allons, ne sombrons pas dans ce piège pour midinettes chafouines. Mais maintenance rodée et souveraine, dans les cales du paquebot des lettres, par ces quelques mécanos déterminés : sans plus de doute.

Tout au long, nous sommes accueillis dans la résistance avec une nouvelle décontraction que je leur connaissais peu et qui s’avère contagieuse, une forme de maturité collective supplémentaire, qui s’assouplit, se forge, d’articles en articles et aujourd’hui, de volume en volume. Et toujours, ces singuliers et farouches individus qui se distinguent tous de leur voisin et avec lequel ils consentent, pour l’aventure de ce volume, à partager quelques pièces communes, mais qui repartiront de façon certaine l’un dans ses rues de Kyoto, l’autre dans la langue d’un Argentin envouté, un autre devant son humble labeur de secrétaire du Verbe, encore un vers les bas-fonds où il s’est toujours trouvé le roi. Ils ont parfois fumé ensemble sur le pas de la porte pour donner une nouvelle variation de « ce qui est littérature », « qui est écrivain, qui est écrivant », « ce que peut la littérature pour l’homme ou inversement », mais rien n’est terminé, évidemment, et tous sont traversés par le sourire des grands lecteurs qui mettent la main à la plume : en lisant en écrivant, ce qui se sait, se fait, se tait.

Merci pour les danses, messieurs.

 

Morceaux choisis :

« Ce n’est pas parce que j’ai renoncé à la thèse du déclin de la littérature que je pense que nous sommes cernés par les talents. J’estime qu’on peut très bien identifier une certaine médiocrité littéraire sans pour autant sauter le pas et dire : le déclin est une évidence. » M. Giroux, page 9.

« Tous nos travers et nos petits malheurs émaillent mes livres et y apportent une dimension comique, afin que cette ligne directrice tragique ne démoralise personne, et ainsi, agrémentés de ces touches comiques mes livres sont, selon moi, plutôt amusants. Je pourrais cependant me sentir moralement coupable de ne pas être capable, lorsque j’écris, de fournir dans mes textes un équipement de protection au lecteur. » L. Krasznahorkai, page 18

« T.S. Eliot estimait que le monde ne finirait pas dans une explosion, mais dans un murmure. Il avait malheureusement tort. Ce n’est pas dans le silence que meurt notre civilisation autrefois si exquisément littéraire, et dont on a dit combien le silence lui était nécessaire. C’est dans le bavardage permanent, le grand brouhaha qui empêche l’art de respirer. Ni Kundera, ni Sebald, ces grands modernes, ne sont les signes d’une décadence de la littérature. Pas plus qu’une soi-disant démocratisation radicale en cours, dont on voit mal, à l’heure actuelle, à quoi elle correspondrait. La réalité est à la fois plus triviale et plus pénible : ce n’est pas littérature qui décline, c’est nous. » O. Maillart, page 32

« Au royaume de l’esprit, la gloire consiste à plonger son regard au fond de la vérité, sans égard pour ce que l’on va y trouver. La crise de la littérature est alors bien une crise de la modernité, la conséquence d’une lâcheté qui a eu la présomption de clamer la mort de Dieu sans oser toiser en même temps l’abîme qu’il dissimulait. » N. Travier, page 41

« Qu’est-ce que cette multiplication d’écrivants nécessaires et strictement possédés par l’écriture nous apprend sur la société qui les produit ? Comment se fait-il que tant de gens, tout à coup, ne sachent rien faire d’autre qu’écrire ? Quel sens doit-on accorder à un tel aveu d’infirmité, ainsi qu’à la gloire quasi mystique qu’elle recèle à leurs yeux  comme aux yeux de ceux qui les lisent ? L’État fournit déjà des aides à la création, mais ne faudrait-il pas que, dans sa mansuétude bureaucratique, il s’avise d’allouer un traitement d’adulte handicapé à chacun de ces courageux graphomanes, à chacune de ces héroïques logographes que la Nature, le Hasard, la Providence ou le malin génie de la vocation littéraire, a si durement frappés ? Si n’être bon qu’à ça est la seule justification de leur manie, que se passe-t-il quand nous jugeons que ça n’est même pas bon ? » E. Audouard, page 63

« Ne serait-ce que pour ne pas devenir fou – et quels que soient la passion qui m’est propre et le sérieux excessif avec lequel ces lignes sont rédigées – il est vital de se souvenir qu’il y a des choses plus nécessaires que la littérature sans la vie. Et de ne jamais oublier que tous les livres jetables sont singulièrement désarmés devant l’homme qui en a d’éternels à fouetter. » E. Audouard, page 67

« L’art est merveilleux et exaltant mais n’est que le nimbe doré d’un être humain. Si l’être humain pour lequel l’art est conçu est méprisé et dépossédé, torturé et tué, l’art n’a plus aucun sens. » M. Cartarescu, page 83

« J’ai lu trop de livres pour me tenir tranquille, et je pense depuis déjà longtemps que nous devrions tous descendre au moins une fois en nous-mêmes, là où le poison du moi profond s’agite, où le ressentiment instinctif et les désordres intimes se livrent crûment, dans une douleur nue qui, si on l’accepte, conduit à ce que l’on pourrait définir comme la liberté. » C. Sans, page 101

***

« Laissons aux idéologues du déclinisme l’illusion d’un âge d’or révolu de la littérature – et osons être présents à notre monde. » A. Boniteau, page 122

 

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