« Je me disais : Vous que j’ai aimés, je ne vous aime plus ! Car vous qui m’avez aimé, vous ne « nous » avez pas aimés d’avoir pu encore aimer ! Dommage ! De ne plus aimer ceux que l’on a aimés laisse comme un creux en vous à l’exacte place qu’on leur avait faite. Ils sont là, sortes de fantômes d’amis ou d’amies qu’il est difficile d’oublier puisque l’absence, on le sait, possède une force de présence obsédante parfois. Voilà sans doute pourquoi ces pages pleines d’interrogations auxquelles « notre » bonheur quotidien répond. Je sais ce que j’ai vécu. Je sais ce que je vis. Et je sais maintenant en quel monde nous vivons. Après tant d’années passées à l’écart, sans télévision, sans journaux de basses médisances, sans autres références sur l’Homme que la lecture des œuvres les plus « hautes », l’écoute des musiques les plus « profondes », les traces peintes les plus « bouleversantes », me voilà depuis que la vie m’a débusqué de ce cercle « enchanté » dans lequel je m’étais enclos et dans lequel « on » m’a laissé bien clos et hors d’atteinte, oui voilà que je me réveille à un monde rappelant ces moments impardonnables où votre voisin, parfois votre frère, et parfois même vos enfants ou votre compagne peuvent vous dénoncer pour ne pas être conforme à l’idéologie imposée. Nous y sommes de nouveau ! Le souvenir des vilénies d’une partie des Français envers ceux qui ne s’étaient pas soumis s’efface, puisque sont en train de mourir les générations pour lesquelles la loi du plus fort tenait lieu de « droiture ». Ne l’oublions pas, dénoncer était un acte « citoyen » à l’égard des fidèles d’une France « loyale » par ce héros sénile qui s’en prétendait le père. Car nous ne devons jamais oublier que les pires saloperies se sont faites, se font et se feront toujours au nom du « bien ». Le « bien » est un habit, un masque, une raison, jamais une excuse. Le « bien » est confortable. À mesure de la marche de l’humanité, c’est toujours pour le « bien » que d’immenses tas de cadavres assassinés ont été abandonnés derrière elle. Ne doutons surtout jamais de la sincérité des délateurs, des tueurs, des collaborateurs de quelque cause que ce soit ! Ils « croient » à la nécessité positive de leurs forfaits. Ils sont persuadés qu’un jour on les honorera pour leur dévouement, pour leur « pureté », pour leur clairvoyance en ce « bien » au service duquel ils se sont mis. Oui, c’est toujours au nom du « bien » que l’on niera « l’autre », qu’on le fera souffrir, qu’on le torturera jusqu’à ce qu’il abjure ses convictions, sa foi… Alors que ce même « autre », en des circonstances symétriques, se montrera d’une égale férocité envers son « autre ». Quel pessimisme ! C’est vrai ! Tout ce que j’ai vu, lu, entendu au sujet de l’Homme m’y autorise. Tout ce que je vois, lis, entends au sujet de l’homme moderne m’y autorise encore plus ! Depuis que j’ai quitté le cercle des enchantements tracés par moi entre moi et le monde, en accédant aux transmissions des images simultanées du grand désastre humain, je mesure à quel point nous sont plus jamais nécessaires les mots disant ce que nous ne sommes pas et ne serons jamais. L’homme a toujours rêvé l’Homme et ne l’a jamais trouvé. »
Serge Rezvani, Ultime Amour, Les Belles Lettres, 2012, pages 130-31.
La seule foi que je me permets, Serge, celle que je me permets pour moi-même, pour toi et quelques autres épars, c’est qu’en ne cherchant plus l’Homme ni à convertir quiconque à mes vues et encore moins au « bien », mais en maintenant le cap entre les épaves, je puisse apercevoir les derniers hommes debout. En minuscule.
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