« Voulez-vous continuer à suivre Pascal, ou votre patience est-elle à bout et préférez-vous passer à d’autres maîtres, plus compréhensibles et moins exigeants? N’attendez de Pascal nulle douceur, nulle indulgence. Il est infiniment cruel envers lui-même, et de même infiniment cruel envers les autres. Si vous voulez chercher en sa compagnie, il vous prendra avec lui, mais il vous déclarera d’emblée que ces recherches ne vous procureront aucune joie: « Je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant » (421). Ses vérités, ou ce qu’il appelle ses vérités, sont dures, pénibles, implacables. Il ne porte avec lui aucun soulagement, aucune consolation. Il tue toute sorte de consolation. Aussitôt que l’homme s’arrête pour se reposer et revenir à soi, Pascal est là avec son inquiétude: il ne faut pas s’arrêter, il ne faut pas se reposer, il faut marcher, marcher sans fin; vous êtes fatigué, vous êtes exténué; c’est ce qu’il faut; il faut être fatigué, il faut être lassé. « Il est bon d’être lassé et fatigué par l’inutile recherche du vrai bien, afin de tendre les bras au libérateur » (422). Dieu lui-même, selon Pascal, l’exige. « La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes en cette vie est de les laisser sans cette guerre qu’il est venu apporter. « Je suis venu apporter la guerre » [Matt. 10, 34], dit-il, et pour instrument de cette guerre : « Je suis venu apporter le fer et le feu » [Luc 12, 49]. Avant lui, le monde vivait dans cette fausse paix. » (498)

Ainsi enseigne Pascal ou, pour mieux dire, ainsi traduit-il ce qu’il a entendu au tribunal de Dieu. Il évite tout ce qui est cher aux hommes. Les hommes aiment la fermeté il accepte l’inconstance; les hommes aiment la terre solide – il choisit l’abîme; les hommes apprécient par-dessus tout la paix intérieure – il célèbre la guerre et la tourmente; les hommes aspirent au repos – il promet la fatigue, une fatigue sans fin; les hommes font la chasse aux vérités claires et distinctes – il brouille toutes les cartes, il confond tout, et transforme la vie terrestre en un horrible chaos. Que lui faut-il? Il nous l’a déjà dit : personne ne doit dormir. »
Léon Chestov, La Nuit de Gethsémani. Essai sur la philosophie de Pascal, traduit du russe par J. Exempliarsky, Editions de l’éclat, 2012, 128 pages.
Pour poursuivre la route ensemble...
Simone Weil, La Personne et le Sacré – Le cri est infaillible

« Il est inutile d’expliquer à une collectivité que dans chacune des unités qui la composent il y a quelque chose qu’elle ne doit pas violer. D’abord une collectivité n’est pas quelqu’un, sinon par fiction ; elle n’a pas d’existence, sinon abstraite ; lui parler est une opération fictive. Puis, si elle était > Lire plus

George Steiner et l’infinité des possibles

« Le concept kierkegaardien de « l’infinité des possibles », d’une réalité offerte dans son entier  à la déchirure du désastre et de l’absurde, est maintenant un lieu commun. Nous en sommes revenus à une politique de torture et d’otages. La violence, institutionnelle et individuelle, lèche les murailles de la cité, creuse, érode, > Lire plus

Stevenson vs Thoreau, le choc des petits taons – Robert Louis Stevenson, Un roi barbare

Je ne l'avais pas vu arriver, cela n'en fut que plus savoureux : ce court essai d'un écrivain d'aventures véritablement sympathique et se cherchant un altruisme triomphant contre un dissident sylvestre que l'humain laisse de glace, n'a rien d'un hommage enfiévré. « Il était plus facile, nous dit Emerson, non > Lire plus

Witold Gombrowicz, « Je ne suis pas à la hauteur de ce genre d’abîmes » – Lettres à ses disciples argentins

« Tout ce qui te reste à faire c’est de m’admirer, et limite-toi à ça sinon je t’égorge comme un lion féroce. Je t’autorise en revanche l’usage de l’ironie comme dans tes dernières lettres, parce qu’elle se développe sur un ton d’admiration – TU IRONISES À MON PROPOS PARCE QUE TU > Lire plus

Un jugement un peu formé – Mathieu Terence, Présence d’esprit

« Pas étonnant, si l’on s’en prend à ce cogitogramme plat, d’exprimer une pensée à la verticale d’un monde qui s’est couché. » * « Cette littérature d’ameublement, outre qu’elle dispose avec son personnel d’entretien et sa régie des émetteurs et des transmetteurs idoines, conforte un lectorat depuis longtemps décomplexé. > Lire plus

Héros et tombes – sur Héros et Thanatos, d’Aurélien Lemant

Son petit livre ci-présent, une fois apprivoisé dans une paume assouplie, se révèle nourrissant, et surtout, et c'est tout de même bien ce qu'on peut décemment lui demander aussi, fourmille d'un divertissement boutant tout anodin hors de ses sphères. Il n'y a rien d'anodin, rien de superflu dans les anecdotes > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.