Où je vous donne quelques éléments de langage pour commenter sur Internet.

Extraits de Plutarque, Œuvres Morales, T. VII, 2e partie, Traité 38 : De la fausse honte, 1, Editions Belles Lettres, C.U.F., traduction R. Klaerr et Y. Vernière, 1974 :

La fausse honte est une forme excessive de la honte

Aussi l’orateur a-t-il dit de l’homme sans honte qu’il avait non pas des pupilles dans les yeux mais des putains. De son côté, inversement, l’homme accessible à la fausse honte laisse trop apparaître par son regard le côté efféminé et la mollesse de son âme, donnant le joli nom de pudeur à sa soumission devant ceux qui n’en ont pas.

Effets désastreux de la fausse honte

Mais la fausse honte qui pèse sur les hommes sans vigueur et sans virilité, et qui n’a la force de rien refuser ni de s’opposer à rien, les détourne de la justice dans les tribunaux, leur ferme la bouche dans les conseils, et les oblige à faire et à dire beaucoup de choses qu’ils ne veulent pas ; un tel homme est chaque fois à la merci de l’individu le plus déréglé, dont l’impudence le domine en forçant sa pudeur dans ses derniers retranchements.

Exerçons-nous à lutter contre la fausse honte en commençant par des cas faciles

Devant l’assemblée du peuple frappée de stupeur et muette de crainte, Démosthène s’écria : « Que feront-ils, quand ils verront le soleil, ceux qui ne peuvent pas regarder en face la lumière de la lampe ? » Oui, que feras-tu dans de grandes circonstances, en présence d’un roi ou devant le peuple qui t’intimide, si tu ne peux pas repousser la coupe que boit un compagnon à ta santé, ni échapper  à la prise d’un bavard, mais te laisses empêtrer par un radoteur, parce que tu n’as pas eu la force de dire : « Je te verrai une autre fois ; aujourd’hui je n’ai pas le temps » ?

Il faut s’entraîner à ne pas louer par fausse honte

Ainsi dans un banquet donné par un ami, un citharède chante mal ou un acteur comique massacre Ménandre, tandis que la masse des convives applaudit et admire : ce n’est nullement faire œuvre difficile, je pense, ni se montrer désagréable que d’écouter en silence sans formuler des éloges serviles, contraires à l’évidence. Car si tu n’es pas maître de toi dans ces circonstances, que feras-tu quand un ami lira un mauvais poème ou déclamera un discours écrit dans un style stupide et ridicule ? Tu le loueras bien entendu, et tu feras chorus avec les flatteurs. […] Pour ma part, je ne puis même pas approuver la parole de Périclès répondant à un ami qui lui demandait de porter un faux témoignage, et sous la foi du serment : « Je suis ami jusqu’à l’autel » ; car c’était déjà trop s’avancer.

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Extraits de Plutarque, Œuvres Morales, T. VII, 2e partie, Traité 40 : Comment se louer soi-même sans exciter l’envie, 19, Editions Belles Lettres, C.U.F., traduction R. Klaerr et Y. Vernière, 1974 :

On peut aussi se louer dans l’infortune

De même que les gens qui à la promenade se pavanent et tiennent la tête haute, nous les considérons comme des sots et des vaniteux, mais que, si au pugilat ou à la lutte, des combattants se relèvent et se dressent de toute leur taille, nous les louons, de même l’homme abattu par la fortune, qui se remet debout et qui fait front « comme un pugiliste qui attaque », passant, sous l’effet de l’orgueil, de l’humilité pitoyable à une hautaine fierté, nous semble être non pas haïssable et arrogant, mais grand et invincible.

Autre habileté : louer chez les autres ses propres qualités

Puisque les hommes, dans leur majorité, éprouvent une vive hostilité et de l’irritation en face de qui se loue lui-même, mais qu’il n’en va pas ainsi à l’égard de qui loue autrui, qu’au contraire souvent ils l’écoutent avec plaisir et s’empressent de joindre leur témoignage, certains ont l’habitude de louer ceux qui adoptent les mêmes opinions et la même conduite qu’eux, qui d’une façon générale ont le même caractère, pour se concilier à propos l’auditeur et attirer sur eux son attention ; car il reconnaît aussitôt chez celui qui parle, fût-il question d’un autre, un mérite qui, parce qu’il est semblable, est digne des mêmes éloges. Tout comme en effet en injuriant autrui pour des défauts auxquels on est soi-même enclin, on ne peut dissimuler que l’injure est plus pour soi que pour l’autre, ainsi l’homme de bien qui honore un homme de bien fait penser à lui-même les auditeurs qui le connaissent, en sorte qu’ils s’écrient aussitôt : « Mais toi, n’es-tu pas pareil ? »

Habileté qui consiste à mêler à l’éloge l’aveu des défauts

Et certes, tout comme pour éviter de causer une gêne à ceux qui souffrent des yeux, on fait de l’ombre sur ce qui brille trop, de même certaines gens ne présentent pas leur propre éloge dans tout son éclat ni à l’état pur, mais y introduisent  quelques imperfections, erreurs et fautes légères, pour lui ôter ce qui peut provoquer l’hostilité et l’indignation.

Autre profit possible : rabaisser les insolents, rendre courage aux désespérés

Néanmoins, parfois aussi, dans un dessein d’intimidation et de répression, pour abaisser et soumettre un homme arrogant et présomptueux, il n’est pas mauvais de parler quelque peu de soi avec pompe et emphase, comme le fit encore une fois Nestor : « Je me suis déjà trouvé en compagnie d’hommes plus braves que vous, et jamais, eux, ils n’ont fait fi de moi. » C’est également ainsi qu’Aristote dit à Alexandre qu’il était permis d’être fiers, non seulement à ceux qui exerçaient leur puissance sur beaucoup d’hommes, mais aussi à ceux qui avaient des opinions vraies sur les dieux. Voici une déclaration utile contre les ennemis tant publics que privés : « Malheureux ceux dont les fils font face à ma fureur. » […] « Ne vois-tu pas combien les navires ennemis sont nombreux ? – Mais moi, vous me comptez pour combien en face d’eux ? » [citant Homère]

Il ne faut pas se laisser entraîner à parler de soi quand on entend louer les autres

En premier lieu, c’est à l’occasion de l’éloge d’autrui, comme il a été dit, que l’esprit de rivalité fait fleurir la glorification de soi : mordu et chatouillé, il est saisi d’une sorte de démangeaison par un désir irrésistible qui le pousse vers la gloire, et tout particulièrement quand on loue autrui pour des mérites égaux ou inférieurs aux nôtres. Car, tout comme on a faim, la vue d’autres personnes qui mangent ne fait qu’exciter et aiguiser l’appétit, de même l’éloge du prochain enflamme de jalousie ceux qui ont une passion immodérée pour la gloire

Il ne faut pas se louer à l’occasion du récit d’événements vécus

En second lieu, le récit que font les gens de leurs succès et de ce qu’ils ont réalisé selon leurs vœux en entraîne beaucoup à leur insu, sous l’effet du contentement, à s’exprimer avec orgueil et vantardise : quand ils en arrivent à parler soit de victoires personnelles, soit de réussites dans la gestion des affaires publiques, soit d’actes ou de paroles qui furent appréciés de la part des dirigeants, ils ne se dominent plus, ils ne se contiennent plus.  A ce genre de glorifications de soi on peut voir que sont surtout exposés les courtisans et les militaires.

Remède contre la tendance à se louer soi-même

La meilleure des sauvegardes et des précautions contre cela consiste à prêter attention à d’autres gens en train de se louer eux-mêmes et à garder en mémoire combien c’est là une chose désagréable et pénible pour tout le monde, et combien ce genre de propos est plus odieux et déplaisant à entendre que tout autre. […] Ainsi donc, habitués à éprouver ces dispositions et à tenir ce langage non seulement à l’égard des soldats et des nouveaux riches qui débitent des récits pompeux et insolents, mais aussi des sophistes, des philosophes et des stratèges tout gonflés d’eux-mêmes et plein de vantardise, si nous gardons en mémoire que l’éloge de soi entraîne toujours le blâme de la part des autres, que de cette vaine gloire ne résulte finalement que l’absence de gloire, que chez les auditeurs c’est l’irritation qui subsiste, comme le dit Démosthène, et non l’opinion que veut donner l’éloge, nous nous abstiendrons de parler de nous, à moins que nous ne devions en tirer de grands avantages soit pour nos auditeurs, soit pour nous-mêmes.

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