Que Roberto Bolaño me pardonne les considérations qui vont suivre et ne sauraient rendre un reflet fidèle de ce que d’aucuns ouvrant ce livre d’astre inaccessible pourraient s’attendre à lire.
C’est que, fidèle à une conception chaotique des rencontres, je n’ai pas commencé par le début, de la même façon que je ne lis jamais les cartels dans les musées, où je ne me rends plus d’ailleurs.
Le début serait La Littérature nazie en Amérique, recueil de nouvelles qui ont véritablement lancé sa carrière en prose, lui qui se réclamait poète avant tout.
Malade du foie (il en mourra à 50 ans, en 2003) – jeune père, il se convainc de gagner mieux sa vie avec des romans qu’avec des poèmes, ce qui est triste, peut-être souvent faux, mais pas quand on s’appelle Bolaño et qu’on écoute « l’extase » qui rend impossible toute autre espérance de vie. Etoile distante s’embryonne à partir de la fin de La Littérature nazie afin de fournir la matière d’un roman qui, j’en suis la preuve vivante, peut se lire à part : les miroirs littéraires dont Bolaño a toujours été friand, comme inventer des auteurs de références ou des courants littéraires (mention spéciale ici à ses « Ecrivains barbares », ingérant, déféquant et vomissant sur les classiques pour leur plus organique absorption), sa prose frénétique et chargée, comme s’il était aussi pressé de se débarrasser de nous que tenté de nous en ajouter encore afin que l’on ne parte pas les mains vides, tout le jeu mécaniquement intellectuel que cet admirateur de Borges met en place ne nous laisse, admettons-le, que peu de chances, quoi qu’il en soit, de le suivre en toute lucidité.
Il faut être un peu apnéiste, n’avoir pas peur de perdre ses appuis dans la descente qui nous fait voir, accélérées, les vies heurtées de ces personnages de poètes étranges. Car ce sont des poètes, oui, ne partez pas. Des poètes tueurs, des poètes possiblement à la solde de l’oppresseur, et d’autres révulsés, qui s’exilent ou se laissent encercler.

L’un d’eux, Carlos Wieder, ou Alberto Ruiz-Tagle, à la faveur du coup d’Etat de Pinochet, assassine des poétesses, qui disparaissent dans son sillon. Il écrit avec son avion des poèmes – ou bien des impostures, dans le ciel au-dessus des grosses huiles qui n’y comprennent rien, et il faudra bien quelqu’un pour confondre cet esthète cruel. Il arrivera, soyez patients. Dans l’entretemps, il sera difficile de prendre l’entière mesure de ce à quoi l’on assiste, festin peut-être un peu trop nerveux pour être véritablement drôle, disons malin, de tranches narratives virevoltantes qui nous laissent étourdis devant la responsabilité d’écrire. Mais déjà resservis, voilà qu’on en redemande.

Je n’avais pas terminé 2666, lu à moitié (ce qui fait déjà 600 pages ou presque), je ne me souviens pas de la raison de mon abandon puisque ce dont je me rappelle est énorme. Il existe de véritables mystères à ces chemins délaissés, qui sont pourtant les bons. Etoile distante est mon deuxième de Bolaño. Les Détectives sauvages fait également partie de mes envies pressantes, ceci dit, je ne suis pas dupe, il se peut très bien que je prenne encore dix ans pour y venir ; je n’en suis même pas désolée ; chaque bon livre ici s’est imposé par-dessus les autres, sans que j’y puisse, au fond, grand chose.

Roberto Bolaño, Etoile distante [1996], traduit de l’espagnol par Robert Amutio, Editions Christian Bourgois, 2006, 182 pages.

***

 

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