« C’est la gloire des Romantiques, juste devant la précipitation des temps modernes qu’aucune main humaine bientôt n’allait pouvoir retenir, d’avoir écouté ce sang-là en eux-mêmes, d’avoir voulu pour notre temps, à la façon universelle des poètes, joindre encore et réappartenir plus sensiblement que jamais à cette humanité profonde, toujours la même au fond des âges. D’avoir eu faim et soif de toute grandeur.
Où sont donc nos poètes, qui sont-ils, à travers lesquels on regardera plus tard la couleur de ce temps-ci ? Qu’avons-nous fait nous-mêmes de notre siècle écrasant et quel nom porte-t-il ? Qui sommes-nous misérables ! avec nos machines, nos guerres insensées et les mâchoires du Progrès refermées sur nous – qui sommes-nous au milieu des âges de l’Homme ? L’esprit d’enfance est-il à jamais mort entre nos mains ?
Ou reste-t-il encore parmi nous des hommes, affreusement solitaires, qui se soient faits en solitude capables pour nous tous, d’entendre encore et toujours, depuis ici, et maintenant, la haute voix des frères humains, la millénaire, l’unique voix humaine qui se tient derrière les paroles et qui retentit, mystérieusement, chaque fois que l’homme touche à lui-même ? Tantôt ouverte sur la nuit pesante et se répercutant au fond des abîmes, et tantôt déchirée de surnaturelles lueurs, cette authentique voix de l’homme, qui réapparaît brusquement aux heures capitales, transperce et disperse ses langages. »
Armel Guerne, Hic et nunc, in L’Âme insurgée, Phébus (1977), Points 2011, page 54.