À propos de GAYA WISNIEWSKI, MON BISON, 2018

Cela prend trois lignes accrochées en haut, puis tout un blanc cendré qui nous laisse pantois. Au centre droit, cachant ses coins emboutis de vieil album cogné, une tache noire en aime une autre et dans la friction du fusain dévoile sa forme. Une petite brune en trogne de pomme frotte ses cheveux contre une grosse tête de bison moutonneux. Et vous voici collé, dévoré par le livre.

Cela prend quelques pages d’une stupéfiante tenue, de phrases tout droit sorties du meilleur des hommes, lorsque le mutisme exerce sur le temps une pression subtile, échappant ce qu’il faut de petites traces pour qu’on envisage, qu’on redoute et espère, qu’on embrasse enfin tout le périmètre sacré qu’un bison masse dans le cœur.

Gaya Wisniewski, magicienne aux doigts sombres, offre dans Mon Bison, son premier album, un coup de museau baigné de larmes aux petits entourés d’absents.

Parce qu’il arrive sans s’annoncer, qu’il partage tout sans repousser, qu’il s’élève dans la vapeur d’une tasse, qu’il se couchera dans l’herbe et que tu l’attendras, saison après saison, lui parlant de ta mère qui te manque, de la goutte sur son nez gelé, de ce qui ne passe pas, ne passera jamais, mon bison reste là.

Parce que nous manquons de tout, et que serrés contre nos poitrines dévastées nos enfants nous entendent broyer le bleu contre le noir sur ces blancs crèmes parfaitement calmes, ouvrir Mon bison pour le partager avec leurs peines, le voir glisser entre les arbres dressés pour de bon par une main amie, fait accepter la perte et les années sans elle, les années sans lui, les trous insupportables rallumés par les Fêtes qui se penchent sur nos puits.

Nos enfants comprennent, sérieux dans les sapins, ils tripotent de leurs petites pognes le chagrin, le lien, la promesse de l’inconditionnel amour d’un griffonné à un autre. Un enfant, un bison, et il n’y a plus aucune terreur d’être vu.

Ils comprennent qu’au fond clapote une eau gorgée d’herbes démentes, une eau qui ensorcelle et donne la vie, une eau qui crée des contes et trempe la mine pour libérer le trait.

Joyeux Noël, mes amis. Joyeux Noël dans l’adversité et l’indifférence et bonne année, mes amis. Bonne année douloureuse et absente. Assemblons nos belles taches obstinées et secrètes, rejoignons nos sangs noirs et bleus dans les branches d’une nuit qui nous connaît. Créons, dans le compagnonnage et la camaraderie des mufles mouillés, les rassemblements silencieux qui peupleront les blancs laissés dans cet album divinatoire, à la pénombre plus enchanteresse que ces lumières violentes, vulgaires et sans âme.

Si tous, moi non, chuchote la petite fille dans la clairière désolée. Je sais que tu es là. Et que tu reviendras. Ils ne nous sépareront pas.


GAYA WISNIEWSKI, MON BISON, Editions MeMo, 2018

Chronique publiée le 30 décembre 2018 sur Profession-Spectacle

Pour poursuivre la route ensemble...
Leo Tuor Settembrini Paméla Ramos Si tous moi non
Ce ciel de chasse ! Chamois, rudesse et grands livres

À propos de Leo Tuor, Settembrini, vie et opinions | Soupir : « Que Dieu nous préserve de l’ours blessé, de l’épicéa en surplomb et du bloc qui roule. »

À la fête

Nous avions à présent croisé six carcasses déposées sur le côté, six réveillons compromis. Le vent avait recouvert de ses poignards de glace meurtriers, en moins d’une demi heure, toute la surface visible de l’autoroute, effaçant les dernières signalétiques.

Sur la digue | Hugo von Hofmannsthal

  On évoque souvent la murène du Romain Crassus. […] lorsque Crassus l’appelait, elle reconnaissait le ton de sa voix et elle nageait vers lui. […] Crassus alla même jusqu’à la pleurer et à l’enterrer lorsqu’elle mourut. Un jour que Domitius lui disait « Imbécile, tu pleures la mort d’une murène », > Lire plus

Nicolas le Silentiaire – Pour Only God Forgives

SILENTIARIUS. Serviteur qui avait pour fonction de maintenir le silence dans la maison, et d’empêcher toute la troupe des esclaves de faire le moindre bruit en présence de leur maître, une toux même ou un éternuement étant immédiatement punis par un coup de baguette. 2. Silentiarius sacri palatii. Dans les > Lire plus

Dangers dans le ciel, Mayday, Air Crash : la Providence et le Conseil technique

« S’efforcer de voir la Providence à l’œuvre dans la vie privée est « également révoltante et pour l’intelligence et pour le cœur. » Quand la foudre tombe très près de quelqu’un sans le toucher, on dit souvent que la Providence lui a sauvé la vie, tandis que ceux qui se trouvent à > Lire plus

Le labyrinthe de jardin ou l’art de l’égarement

There is no coming to the One with one jump, and none without going about.  D.A. Freher, Paradoxa Emblemata. « Je t’ai vu dans l’erreur mon cher fils, et je n’ai pas voulu attendre plus longtemps, c’est pourquoi je t’ai conduit à toi-même et mené au fond de ton cœur. » Comenius, > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.