« À l’heure du soleil ras, le lieu devient féérique. J’aime les contre-jours, quand les sujets s’effacent dans le feu de la lumière. Les corps deviennent silhouettes et gracieux contours, les chevelures se perdent dans un halo doré. Les ombres nous regardent sans que nous distinguions leurs yeux. La vie gagne en profondeur. C’est comme si le monde se décollait de sa toile de fond pour s’avancer vers nous du fond de son mystère. »
S’il reste un ou deux – tout au plus – « critiques » littérature de leur état que je suis encore de temps à autres avec profit pour leurs conseils éclairés n’ayant plus grand-chose à prouver (et encore moins à démolir), et qui ont su par ailleurs passer de l’autre côté de la plume sans défaillir, Arnaud de La Grange en fait assurément partie. Par ailleurs, avant tout ou en même temps (que sais-je) reporter, spécialiste de la guerre d’Indochine, toile de fond de son roman précédent, époustouflant, Le Huitième soir, l’homme est aussi marin et c’est au genre épique du roman de la mer qu’il a dédié sa Promesse du large. Les précurseurs du grand souffle salé sont nombreux, mais c’est surtout aux poètes de la solitude radieuse, Julien Gracq, Kenneth White et Arthur Rimbaud en tête, que son roman fera d’abord écho.
Aidan, franco-irlandais, jeune homme dont les parents ont été « avalés » par la mer près des côtes de Locmaricq alors qu’il n’avait pas un an, s’installe dans ce village de Bretagne en quête de réponses. Il s’éprend de Manon, « sauvagine » ne faisant qu’une avec l’océan et apprivoise une poignée de marins taciturnes, vivant humblement « au-dessus d’eux-mêmes ». Soulever les secrets du port n’ira pas sans conséquences, mais surtout, Aidan va rencontrer le large, ses terreurs et sa promesse.
Une histoire simple dont l’auteur se sert comme prétexte pour déployer de superbes pages trempées d’une expérience vaste et d’une fusion éprouvée avec les éléments : le dénouement narratif n’a pas autant d’importance que la traversée élogieuse. S’il se savoure avec la reconnaissance indéniable de ses paysages intimes, on pourra cependant rester sur sa faim concernant deux points : certaines scènes d’anthologies comme la tempête en mer, striées d’un vocabulaire de navigation technique et extrêmement précis (Melville en cela n’est pas loin !), font parfois décrocher le moins connaisseur d’un ensemble qu’on aurait voulu voir sonder vers la poétique des grandes profondeurs. C’est comme si la plume d’Arnaud de La Grange, un peu trop sage, se retenait. Ainsi, si la douceur de l’ensemble et son bain de sel et de soleil ont un effet de chaleur immédiat qui ne se refuse pas, je regrette que les creux et les murs d’eau de la violence, la démence et le fracas des tourments du jeune Aidan n’aient pas été plus scélérats. Mais le tout reste un très bon moment, complice et entendu sur le fond.
Arnaud de La Grange, La Promesse du large, Gallimard, 214 pages. Acheté neuf en librairie.