Chronique Erreur 404 publiée le 8 octobre 2017 sur Profession-Spectacle

Lundi

La nouvelle pensée par montage vidéo frénético-pop interposé, style « Brut », sur les réseaux, est la nouvelle pluie de sauterelles sur les champs déjà bien laminés de nos récoltes mentales. Le prêt-à-penser webdesign pour internaute trop limité pour se monter ses raisonnements de PMU lui-même :

« Ce que tu vas découvrir dans cette vidéo est stupéfiant ! Les méchants nazis qui manquent de respect aux femmes et ne lisent pas Leïla Slimani en mangeant vegan sont vraiment très très inquiétants dans cette société injuste où règne le libéralisme. »

« Toutes les études sérieuses le prouvent ! Mélange une licorne avec Game of Thrones, Yann Barthès, du sexe et un auteur turc persécuté, et tu obtiens le buzz de l’année ! Pour 1 500 euros les 120 likes d’Indiens, rejoins toi aussi le monde de la contestation en t’offrant un freelance qui boit du thé vert. »

Mardi

L’endroit d’où ils prennent leurs leçons en dit plus sur eux que la leçon même, mollement assénée pour mimer l’effroi publicitaire en vogue : à peine ont-ils eu le temps de ne pas le ressentir qu’il faut déjà en faire la promotion, tout en conservant bien au chaud, inaccessible, ce qu’on en pense vraiment. Le ballet des poudrés du net, les grands indignés quotidiens qui ne changent strictement rien à la vacuité de leur existence, est orchestré par ceux qui les nourrissent.

Puisque nous assistons quotidiennement à cela, et qu’il n’est pas question que les plus malins s’effacent devant cette nouvelle tyrannie de pensée préfabriquée lâchée à toute vitesse sur les esprits effarés, incapables de suivre, eh bien d’accord, regardons-les, ces vecteurs par lesquels tous consentent à hurler avec la meute. Une fois bien regardés en face, nous ne pouvons plus ignorer la farce grotesque qui se joue. Préférerons-nous la feinte de n’avoir rien vu ? Pour tromper notre addiction, feindrons-nous encore de ne pas savoir qu’en participant au partage de ces leçons de morale en plastique, nous hurlons en silence, par les doigts, pour un soulagement relatif, un plaisir aigu et sans joie ? (Camus, Caligula)

Mercredi

Sauf que le malentendu est total, et particulièrement dans les milieux culturels. À craindre d’être socialement tués en étant estampillés immédiatement « néo-conservateur » (le nouveau « néo-nazi ») par quelques activistes en pyjamas sur leur canapé scandinave, beaucoup partagent, la mort dans l’âme, ces larmoyants témoignages sur la dureté du monde, les scandales que l’on serait immonde de ne pas dénoncer, les violons faux que l’on serait un monstre de ne pas accepter d’écouter, comme on feint de trouver beau le collier de nouilles de la fête des mères afin de ne pas attrister le petit. « Oh mon chéri, qu’elle est jolie et gentille ta nouvelle vidéo ! Tu as raison, il faut se battre pour ses idées, mon loulou, bravo, mais maintenant, sors de ta chambre, la lutte est terminée, il faut passer à table. »

Vous leur faites l’aumône, en draguant au passage votre collègue dont vous espérez bien qu’elle se dira « whaouh, Jean-Jacques est engagé, mon rêve », alors que rien n’est moins sexy. La plupart du temps, ces messages dénoncent des salauds qui ne recherchent que le profit… via des plates-formes qui recherchent le buzz, la vanité suprême d’être un influenceur majeur, un chef de file. Personne, en somme, ne regarde plus le doigt. Chacun se persuade sans doute qu’il se verrait en imbécile la Lune dans le dos, dans l’ongle poli tendu par un artisan érigé en sage parce qu’il possède l’art du montage. Comment leur donner tort ?

Jeudi

Attrister les petits : cela serait si grave, apparemment, qu’il faudrait préférer à cet acte abominable le renoncement à tout ce qu’il y avait de noble en nous.

Chaque fois que nous partageons une vidéo de prêt-à-penser, nous acceptons de reculer dans la chaîne alimentaire.

Vendredi

Que dire du malaise permanent ressenti devant ce flux continu d’idéologie produite à la chaîne : sommes-nous donc devenus de fragiles souris pour les éperviers mentaux (dont Armand Robin parle si bien dans La Fausse Parole), à courir en tous sens et faire le mort lorsqu’ils nous tombent dessus ?

« Je veux devenir cette infirmière épuisée qui incarne la vertu, mais je ne suis qu’une administratrice en RTT et je me déteste pour cela. »

« Je désire ardemment devenir ce fermier bio, moi aussi, qui plaît tant sur Instagram, mais je ne suis qu’un professeur des écoles sans ambition particulière, qui ne comprend pas l’écriture inclusive. Sans haine, sans discours, je trouve cela pauvre, mesquin, pénible, moche. Aux yeux des éperviers, je ne suis bon qu’à être éventré, qu’on me passe dessus et qu’on en finisse. »

Rapidement, lorsque nous sommes encore attachés à un peu de dignité et de réflexion profonde, auprès de ces enfants capricieux et colériques, nous ne sommes plus rien, nous disparaissons, peu représentés dans les nouvelles valeurs du « tout négociable ». Ce sentiment de ne vivre que par défaut est le premier effet de la communautarisation souhaitée par le ciblage en ligne.

Nous peinons à satisfaire les injonctions du « vivre ensemble » ? C’est qu’on ne nous veut pas mélangés mais côte à côte, bien alignés chacun dans notre outrance, qu’on puisse la calibrer, la mesurer et en tirer nos conclusions en or.

Nos subtilités sont louches, on les résumera. Notre silence est scandaleux, on nous en fera sortir. Nous ne sommes jamais de la nouvelle clique « qui buzze », et pour cause : ce ne sont que des coquilles vides, des images montées sans passion par des salariés sous-payés et fatigués. Pourquoi nous en sentir coupables ? Qui sont les coquettes ridicules ? Sommes-nous tenus de participer ? Nous ne nous sentons jamais assez « cool », jamais assez souples, jamais assez tolérants, jamais assez acceptables sur le net ? C’est qu’il faut leur reprendre. Reprenons.

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