« Aujourd’hui, la prolifération des ateliers d’écriture semble noyer le roman littéraire sous un monceau de banalités et d’uniformité. Au cours de ces dernières années, j’ai reçu plusieurs centaines de jeux d’épreuves et de manuscrits par an, et la plupart auraient gagné à ce que l’expérience de leur auteur ne se limite pas aux seuls cercles universitaires. Dix-sept années passées dans ces institutions offrent un spectre relativement étroit des activités humaines. A disparu cette époque artisanale où les jaquettes des livres annonçaient que l’auteur avait travaillé comme chauffeur de poids lourds, proctologue, strip-teaseuse, plongeur de restaurant, fourreur, cow-boy, plombier clandestin, volontaire des Peace Corps dans cinq pays différents. »
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« Le barman de la White Horse Tavern qui avait, paraît-il, servi à Dylan Thomas ses neufs doubles whiskies fatals me dit, en guise de conseil, que l’eau était la meilleure alliée de l’écriture, mais je n’ai pas non plus suivi ce conseil. »
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« Et puis, je connaissais suffisamment bien l’histoire littéraire pour me répéter mentalement la liste de tous les écrivains qui avaient permis au costume de l’approbation publique de congeler leur corps, et lorsqu’ils essayaient enfin d’ôter ce costume il ne restait en dessous pas beaucoup de fragments anatomiques reconnaissables. Leur corps, vidé de toute vie, était couvert d’ecchymoses et de marbrures sinistres. »
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« J’ai besoin de l’insécurité des tempêtes de neige ou d’une voiture surchauffée quand il fait trente-neuf degrés à l’ombre dans le Kansas, de l’insécurité du cœur et de l’esprit tâtonnants loin de leur milieu habituel. Il est trop facile d’être sûr de soi, trop facile d’emprunter sans cesse le même chemin jusqu’à ce qu’il devienne une profonde ornière qui bientôt devient à son tour une tranchée insondable où vous ne voyez plus rien au-dessus du bord. »
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« L’écrivain oublie que sa vocation consiste à écrire, une tâche qui n’inclut pas l’obligation d’imiter ou de se prendre pour les personnages souvent absurdement héroïques créés par ledit écrivain. »
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« Depuis vingt ans on assiste à une débauche de shopping spirituel qui, bien que compréhensible, charrie avec lui et épouse de manière désastreuse le sens du temps dévoyé par notre culture, où la vitesse est en définitive la seule chose qui compte. On cède à une impatience fatale, au désir d’accumuler le plus vite possible les « coups » spirituels et de poursuivre avec la même répugnante mentalité. […] Nous ne refusons bien sûr aucune absurdité tant que nous pouvons en tirer un quelconque avantage économique. Quiconque en a vraiment ras le bol de la « putain de culture blanche », pour reprendre une expression que j’entends souvent, a tout intérêt à se préparer à un long voyage. Contempler pendant une heure une tête olmèque de cinquante tonnes risque de vous propulser dans un vide absurde que tout le sucre du monde ne saurait adoucir. »
Jim Harrison, En marge. Mémoires, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent, 2002, Christian Bourgois éditeur (10/18, 2021).