« (Les femmes) Ne sont-elles pas étranges ? Elles vous appellent au secours et l’instant d’après elles vous repoussent. Ou bien c’est le contraire: elles vous repoussent et l’instant d’après elles se précipitent convulsivement vers vous. Elles sont comme les chauves-souris, elles émettent en permanence des ultrasons qui leur reviennent plus ou moins modifiés par le paysage extérieur. En frappant constamment tout ce qui les environne avec des sons qu’elles sont les seules à pouvoir « lire », elles nous utilisent comme si nous n’étions que de la matière à réflexion. Soit des creux, soit des bosses faits pour leur renvoyer l’écho de leur ultra-sensibilité féminine. Sans ça, nous ne connaîtrions plus de paix. Si nous étions en mesure de percevoir réellement les flèches de l’ultra-sensibilité féminine qui sans relâche nous frappent de tous les côtés à la fois, je crois que nous ne survivrions pas à une telle somme de confusions croisées. Seuls les appels au secours lancés par nos femmes nous parviennent. Hormis les appels au secours nous n’entendons rien. Des bruits fantômes, perdus pour nous, nous dessinent en creux, nous frappent et s’en retournent vers celles qui les émettent. Bruit infernal pour elles, que ce bruit inaudible pour nous. Il occupe l’espace, l’espace autour de nous en est entrecroisé comme une forêt. Et nous n’entendons rien ! Voyez toutes ces femmes couchées sur les tables et sur les bancs dans ces poses d’une indécence insoutenable. Si vous pensez que chacune de ces femmes en voyage ne cesse d’émettre des cris muets pour nous autres hommes, des cris de détresse, j’en suis sûr, qui continuellement rebondissent et toujours leur reviennent, avouons qu’on se trouve accablé à l’idée de l’immense souffrance que représente cette lecture ininterrompue pour des nerfs fragiles comme le sont les nerfs de nos femmes. »
Serge Rezvani, La Traversée des Monts Noirs, Belles Lettres, 2011, pages 99-100.