La terre est la seule chose qui perdure.
John Neihardt, Élan-Noir parle.

Jim Fergus, écrivain et « journaliste cynégétique », a regroupé dans Mon Amérique (écrit en 1999, traduit par Nicolas de Toldi aux éditions du Cherche Midi en 2013) les chroniques savoureuses de six années de pérégrinations aux quatre coins des Etats-Unis à la poursuite de cailles, de dindons, de perches ou de truites. Organisées en suivant les saisons, et commençant par l’automne et l’ouverture de la chasse aux tétras, ces articles, prenant parfois l’allure de véritables nouvelles, et dont beaucoup sont inédits, racontent une histoire naturelle bien loin du repli et de la solitude fantasmés par tout citadin à l’évocation de ces flyover lands, mais au contraire fourmillante de personnages burlesques, d’anecdotes inattendues, de rencontres avec une faune qui se raréfie et avec laquelle chaque contact est perçu comme une grâce.

Ce livre est un bonheur pour les yeux, plus que pour le cerveau qui s’oxygène pourtant des paysages narrés. Mais le non naturaliste, français de surcroît,  pourrait souffrir de ne pas visualiser la rivière Battenkill ou la caille de Gambel. C’est pourquoi, dans les pas de Jim, de son grand ami Rick Bass, et de leurs chiens Sweetzer et Colter, j’ai tenté de reconstituer les « visions » de cette Amérique dans une galerie, non exhaustive, de 88 images suivant la narration, à rebours. J’espère que celle-ci ainsi que les quelques extraits sélectionnés ci-dessous vous feront voyager aussi sereinement que moi dans l’Amérique de Jim Fergus.

*

Extrait du chapitre « Des chiens, des armes, des femmes et des meubles »

« Et peut-être est-ce une simple question d’évasion après tout. On traîne avec soi tellement de bagages encombrants dans la vie, de sentiments de culpabilité, de colères, de traumatismes liés à l’enfance, de disparitions d’êtres aimés, de divers problèmes et regrets. (…)Ces fardeaux ne nous empêchent pas forcément d’agir, mais ils pèsent lourdement sur nos vies ; nous les rangeons dans des boîtes et nous les remisons quelque part au fond de notre cœur brisé, puis nous les trimballons ainsi durant tout le reste de notre vie. C’est la « condition humaine » dont parle Ortega y Gasset. La beauté du monde naturel, l’état de grâce que procure la chasse ou la pêche, l’attention de chaque instant requise par les poissons ou le gibier, les chiens et les compagnons avec qui  nous chassons nous offrent un répit si pur, loin de nos fantômes, que l’on peut se débarrasser de nos petites boîtes pendant un moment et alléger considérablement notre âme. N’est-ce pas une raison suffisante en soi pour chasser ou pêcher et parcourir la campagne ?
Alors maintenant imaginons que c’est presque l’aube… disons le premier jour de septembre, jour d’ouverture dans l’Ouest d’une saison de chasse aux oiseaux. Elle s’annonce en cet instant aussi longue que les étés de notre jeunesse qui semblaient ne jamais finir. (…)

Je finis de m’habiller (…) et je retourne embrasser ma femme à demi  endormie. Elle n’ouvre pas les yeux mais sourit légèrement. Elle m’a vu partir si souvent. Et je crois qu’elle sait qu’elle aura, bien assez tôt, plein de moments de qualité à passer avec son vieux mari grincheux, assis sur ce fauteuil de cuir sur lequel il faudra sans doute qu’elle installe un jour un système d’éjection. Mais pour l’heure, je suis en pleine forme et j’ai plein d’endroits où aller, de gens à rencontrer, d’amis à retrouver, d’oiseaux à rôtir, de poissons à frire, de nouveaux endroits à visiter. Oui, Sweetzer et moi, nous avons un travail à accomplir. » pages 34-35.

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Extrait du chapitre « Histoire de se marrer »

« Plus tard cet après-midi là, nous repartîmes visiter un autre coin favori de Jimbo pour les truites de mer et les redfish. Comme nous dérivions le long de la côte, une énorme raie manta, aussi grosse que le bateau, passa juste en dessous comme un fantôme. Puis Jimbo montra le ciel et je vis quatre pélicans qui volaient en spirale au-dessus de nous, gagnant de l’altitude à chaque rotation, s’appuyant sur les vents thermiques jusqu’à n’être plus que des petits points dans le ciel. « À ton avis, Jimbo, pourquoi font-ils ça ? » lui demandai-je.
Jimbo réfléchit un instant, examinant les pélicans qui volaient toujours en cercles mais pratiquement hors de notre vue maintenant. « Eh bien, dit-il en hochant la tête pensivement, je pense qu’ils font ça histoire de se marrer. » page 214.

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Extrait du chapitre « Rites d’été »

« Le sud humide était déjà extrêmement verdoyant et sa dense végétation en pleine floraison estivale. Je fis halte pour la nuit dans un terrain de camping aux abords de Gulfport, dans le Mississippi. J’y achetai une bonne quantité d’huîtres bien vivantes que je dégustai avec du raifort et de la sauce piquante accompagnées de quelques bières Longneck Dixie. À côté de moi était garé un van avec un bateau en remorque. Sur la coque était imprimé en grosses lettres le nom d’un type et en dessous on pouvait lire : MUSICIEN-ARTISTE-VENTRILOQUE-GUIDE DE PÊCHE-ET PASTEUR ITINERANT. Ce genre de chose semble particulier au Sud. (Je peux vous affirmer par exemple que je connais un certain nombre de guides de pêche dans l’Ouest et qu’aucun d’entre eux ne se prétend magicien ou pasteur.)
Au petit matin suivant, en préparant pour le départ l’Airstream tout humide de rosée, j’eus l’occasion de rencontrer le propriétaire du van. L’idée m’amusa un moment de louer ses services de guide pendant une demi-journée, mais je changeai d’avis quand il me présenta sa marionnette de ventriloque. « Acceptez-vous le seigneur Jésus-Christ comme notre unique vrai sauveur ? » demanda la poupée de but en blanc.
Il ressemblait étrangement à l’évangéliste déchu, Jim Bakker, mais je pouvais clairement voir ses lèvres bouger. Je ne pus m’empêcher de me demander à quoi pouvait bien ressembler sa magie.
« J’ai peur que vous ne perdiez votre temps, lui répondis-je. Je suis bouddhiste zen pratiquant. »
Je ne le suis pas réellement, mais je me mis tout de même à psalmodier. Il faut parfois combattre le mal par le mal. Mais ne vous méprenez pas, je n’ai rien contre la religion, ni en l’occurrence, contre les artistes, mais je préfère pêcher sans entraves. » page 254.

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Extrait du chapitre « Le prix John Warner »

« Dans ce même esprit d’anticompétitivité, il y a de nombreuses années, mes amis amateurs et moi avions institué la vénérable tradition du prix John Warner, du nom de son premier lauréat, un copain qui avait oublié son moulinet alors qu’on était parti pêcher dans un endroit perdu. Le prix est attribué chaque année à un membre de notre groupe qui s’est particulièrement distingué par une maladresse lors de notre voyage annuel de pêche ou de chasse. L’idée n’est pas de récompenser l’excellence, mais aussi la grossière incompétence et le ridicule, pour la simple raison que les bourdes et les gaffes commises dans l’exercice de notre sport fournissent autant d’histoires et de souvenirs mémorables que les très rares succès.
Depuis sa création, le prix John Warner a connu de nombreux désastres plus ou moins graves depuis le broyage de scions de cannes à pêche dans des portières d’auto, jusqu’à l’oubli des provisions de bouche lors d’expéditions sac au dos, en passant par la perte des clés de voiture au milieu des grandes plaines du Nebraska. Il y eut aussi un participant qui s’était présenté en chaussons à l’aube, au départ d’une chasse aux faisans, et d’autres qui se sont perdus dans la campagne ou sont tombés dans la rivière. Il y en eut un qui planta sa propre mouche dans la propre oreille, celui qui planta sa mouche dans l’oreille d’un copain, ceux qui oublièrent de retirer la sécurité de leur fusil au moment de réaliser le doublé de leur vie. D’autres sont arrivés à la chasse pour s’apercevoir qu’ils avaient laissé leur chien à la maison, et d’autres encore ont quitté la chasse en oubliant leur chien sur le parking. (…) La liste est sans fin, et, réellement, au fil des années, nous avons fait toutes les âneries possibles. » pages 270-271.

Voir la galerie de visuels inspirés des textes.

 

 

 

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