Chronique Erreur 404, publiée le 15 octobre 2017 sur Profession-Spectacle

Lundi

Le marché du green se porte bien puisque l’acte écologique premier et des plus efficaces, renoncer, n’a jamais été aussi peu à la mode. La finalité avouée par les plus férus de légumes verts serait de peser le moins possible sur notre planète. Dans cet objectif à la vertu incontestable, le bon sens devrait nous guider à renoncer le plus possible à ce qui n’est pas essentiel.

Du tout. Nous nous attellerons à remplacer tout oripeau, comme les pailles en plastique, par exemple, par le même accessoire, drapé du prestige d’une éthique convoquée à tout va. Malgré les atermoiements de mise, chacun a toujours une excuse pour commander son bon plaisir sur Amazon : nous nous y fournirons donc en pailles en inox probablement fabriquées au Sri Lanka, que nous nous empresserons d’afficher sur Facebook, taguées d’un vindicatif #zérodéchet.

Ceci en nous accommodant plutôt bien du carnage mental que nous nous infligeons, ainsi qu’à nos lecteurs gênés de posséder encore des pailles en plastiques et qui protesteront, brandissant une autre expression soufflée par les storytellers du green : #chacunsonrythme.

S’ensuivra un débat public de la plus haute importance, plusieurs dizaines d’âmes vertueuses dégageant à cette occasion le temps et la disponibilité qu’elles ne trouvent pas pour lire l’Histoire du silence d’Alain Corbin. Le constructeur de pailles éthiques, lui, se frotte les mains : ce marketing d’influence qui ne lui aura rien coûté lui permettra de rouler en 4×4 d’ici la fin de l’année.

Les amateurs de Do It Yourself devraient commencer par écrire leurs propres textes.20

Mardi

Je vois que Michel Onfray a écrit sur Thoreau. J’ai comme des envies de bandeaux. « Sélection Frisson : préparation à la vie dans les bois avec Michel Onfray » ; ou encore : « Apprendre à renoncer, par l’auteur de treize livres depuis 2015 ».

Mercredi

Excessifs éthiques, consumez durable.

Jeudi

Regarder l’intégrale de Sons of Anarchy dans le week-end ne fait pas de nous un biker sans foi ni loi mais un assidu de la double contrainte, qui regrette vaguement de ne pas faire exactement ce qu’il veut tout en essayant de se faire embaucher au meilleur poste que pourra lui donner le système en place.

Les entreprises comme Netflix, irrésistibles, fondent leur modèle économique sur la dédramatisation de cette névrose. Pour consommer frénétiquement les productions d’une machine qui s’emballe, nous devons être de faux idéologues. La communication de Netflix nous glorifie d’être faibles, de ne pas savoir résister, de n’avoir plus aucun contrôle. Sur les organismes engourdis puis chauffés à blanc par la peur de rater quelque chose (le fameux FOMO chez nos comparses américains), le cancer de la vie fantasmée se propage sans problème. Tous les discours véhiculés par les séries actuelles, excellentes ou non, qui sont les derniers lieux communs où se retrouve ma génération, nous intiment de vivre notre vie sans nous soucier des regards, d’être fiers et solidaires de notre clan en apprenant à survivre et à nous adapter quitte à employer n’importe quel moyen, illégal, violent, désespéré, cynique. Nous sommes probablement des êtres spéciaux que le monde entier attendait, nous ne devrons cependant jamais œuvrer pour nous-mêmes mais nous effacer devant la divine Cause sous peine d’une mort affreuse et vaine. Le tout bien évidemment avec un humour ravageur et une bienveillance détendue, plutôt feinte pour rester en maîtrise.

Ce n’est pourtant pas exactement ce que j’observe autour de moi, malgré les discours émerveillés reprenant ces antiennes comme si elles venaient d’apparaître la veille, telles un nouveau miracle grec dans l’histoire de la pensée. La liberté, la justice, l’originalité, l’autonomie fascinent autant que des animaux disparus, fossilisés. On les regrette le temps d’une petite larme à 4h32, le cerveau confit par huit heures de visionnage, et l’on s’empresse de maquiller ses cernes pour plaire au manager acariâtre du lendemain, lui-même sous le coup d’une nuit blanche Downton Abbey et qui se rêve en majordome juste et compris. C’est voulu : si vous œuvrez vous-mêmes, vous n’êtes plus de simples fans qui attendent qu’on leur écrive la suite.

Ici encore, renoncer n’est pas prévu. Tant qu’il y en a, il faut se gaver au buffet à volonté et s’apercevoir plusieurs années trop tard que nous sommes sidérés, statufiés devant l’amas visuel de ce qu’il nous reste encore à absorber.

Vendredi

En ne renonçant à rien, nous avons fusionné avec trop de mouches pour garder forme humaine. Alors nous remplaçons chaque pièce, très lentement et en tremblant, par une autre que nous feignons de croire éthique, en nous persuadant que nous faisons de cette affreuse poterie bancale un magnifique cadeau à nos enfants.

Renoncer sans le dire à personne, voici l’acte de pur rock’n’roll. Mais le faire pour de vrai ? Vous n’êtes pas sérieux. Ce n’est que du cinéma.

Pour poursuivre la route ensemble...
Le Plan hors de la ville | Aurélien Lemant, Traum : Philip K. Dick, le martyr onirique

Quelques chiffres dans la machine: J’ai mis 4 jours à lire ce livre, les trois quarts en une journée. Il m’a fallu une semaine pour me décider à écrire dessus. J’ai mis quatre heures, aujourd’hui, à écrire cette chronique. Il vous faudra entre 30 minutes et beaucoup plus pour la > Lire plus

Sur la digue | Hugo von Hofmannsthal

  On évoque souvent la murène du Romain Crassus. […] lorsque Crassus l’appelait, elle reconnaissait le ton de sa voix et elle nageait vers lui. […] Crassus alla même jusqu’à la pleurer et à l’enterrer lorsqu’elle mourut. Un jour que Domitius lui disait « Imbécile, tu pleures la mort d’une murène », > Lire plus

Dérives de la convalescence

J’étais en bonne voie de guérison, j’avais retrouvé mes plus intenses résolutions. Je n’allais pas survivre low-cost, mon Argô n’était pas un charter, ma nudité serait crue et frontale et mon voyage aurait une valeur, donc un prix. En route, me dis-je, en éteignant la lumière.

On ne dit pas putain ; Irkoutsk, de tête ; Heptanes Fraxion | Carnets actifs

il y a des contretemps putain il y a des contretemps qui sont essentiels Heptanes Fraxion, Nuit bleue Quand j’étais plus jeune, mais sans doute encore maintenant, c’est vrai, j’oublie, mon père jouait du synthé et il chantait dans des petits bars de Poitiers, ce qui me rendait confuse, je > Lire plus

Nicolas le Silentiaire – Pour Only God Forgives

SILENTIARIUS. Serviteur qui avait pour fonction de maintenir le silence dans la maison, et d’empêcher toute la troupe des esclaves de faire le moindre bruit en présence de leur maître, une toux même ou un éternuement étant immédiatement punis par un coup de baguette. 2. Silentiarius sacri palatii. Dans les > Lire plus

Kubrick - However vast the darkness
However vast the darkness, we must supply our own light | Journal

Je tourne beaucoup autour de la lumière, qui, lorsqu'elle revient, renouvelle perpétuellement la santé mentale. Une grande chance que nous n'en manquions pas, dans nos plaines beauceronnes. Il est temps de sortir délicatement de la pénombre complaisante des mois frais.

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.