Aux Marie, de Belgique, de Corse et d’ailleurs

Je prends la parole sacrée de la poétesse allemande Nelly Sachs, liée en des bribes ardentes vers un unique livre que toutes ses dernières forces promettent. Je les sépare pour apaiser ma peur, mais toujours l’ensemble survit. Étouffée, rendue muette par les métamorphoses inadmissibles de mes semaines, j’apprends humblement de sa douleur.
J’apprends encore comment quelques mots rassemblés dans le silence par la grâce épuisée de l’extrême peine vous cassent, vous soufflent, vous emportent enfin.

Mais le silence est la demeure des victimes –

*

La où il n’y pas d’homme, efforce-toi d’être un homme.

*

le temps s’en va en flammes dans le bûcher

se consume tandis que les oiseaux éraflent la nuit

 

Dans le même système solaire

mais autrement

 

Quel géologue visionnaire

pour lire sur leurs tables de douleur

les artères ouvertes de la terre

quand la peau du siècle vidée de son âme

recouvre le silence.

 

Nous autres déshérités nous pleurerons la poussière.

 

Je ne sais plus

où chantent les oiseaux

ni

s’il y a dans la mer des sanglots

pleins d’anges des profondeurs

que transit l’effroi sacré

d’être remontés à l’air –

*

Jamais je ne saurai

si les souhaits qui effroyablement dévorent,

ces espadons

qui transpercent la délicate peau des miracles de l’âme,

s’anéantiront dans le noyau en flammes de la terre

ni si l’univers offensé

n’a pas, dans un renversement de la nuit

Soufflé ma lumière noire

Parce qu’à nouveau j’ai

dormi tout une parole d’amour

 

Terre

larme parmi les astres –

je sombre dans ton débordement –

 

ton siècle

saule pleureur

penché sur l’incompréhensible

 

Boucles au vent du Sud

des cœurs peuvent trembler comme de l’eau dans la main

trembler comme de l’eau

paupière  ouverte depuis les profondeurs

 

Tous les pays ont enraciné sous mon pied

leurs grandes terreurs

ils viennent puiser aux fontaines de la nuit des temps

emplissant à plein bord le soir

ce mot qui tue –

Ainsi ne puis-je exister

qu’en me jetant dans l’abîme –

Lorsque ta mâchoire sombra

avec le poids de la terre –

 

Elle cherche son bien-aimé

et ne le trouve pas

doit renouveler le monde

 

Extraits de Nelly Sachs, Partage-toi, nuit, admirablement traduit par Mireille Gansel, recueil des poèmes écrits à la fin de sa vie, de 1960 à 1968, aux éditions Verdier.

 

Pour poursuivre la route ensemble...
Le cerf dévorant le serpent

À Stéphane M. "Les cerfs sont nommés d'après leurs cornes. Ennemis des serpents, quand ils se sentent incommodés par la maladie, ils les font sortir de leurs trous en soufflant par leurs naseaux et, sans souffrir de leur venin mortel, ils se guérissent  en les dévorant.  C'est eux qui ont > Lire plus

Héros et tombes – sur Héros et Thanatos, d’Aurélien Lemant

Son petit livre ci-présent, une fois apprivoisé dans une paume assouplie, se révèle nourrissant, et surtout, et c'est tout de même bien ce qu'on peut décemment lui demander aussi, fourmille d'un divertissement boutant tout anodin hors de ses sphères. Il n'y a rien d'anodin, rien de superflu dans les anecdotes > Lire plus

Un lecteur sauvage n’a pas d’identité – Comment devenir vivant, de Giuseppe Montesano

L’un de ces manuels qui nous font retrouver, tous les jours, le feu sacré, et renouveler perpétuellement nos vœux avec le sensible, le vital, et l’éprouvé, en opposition aux sinistres injonctions au sarcasme, au cynisme et à la désillusion.

Junichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre – La fallacieuse beauté de la pénombre

Tout bien pesé, c’est parce que nous autres, Orientaux, nous cherchons à nous accommoder des limites qui nous sont imposées que nous nous sommes de tout temps contentés de notre condition présente ; nous n’éprouvons par conséquent nulle répulsion à l’égard de ce qui est obscur, nous nous y résignons comme > Lire plus

Rien, mais plus large – Absolutely Nothing, de Giorgio Vasta et Ramak Fazel

Cathartique pour ceux qui ont trop, familier pour ceux qui s'évertuent à faire décroître leur désert sans augmenter leurs possessions, touffu, cérébral et fantasque, Absolutely Nothing, Histoires et disparitions dans les déserts américains, n’est pas le livre d’un observateur moraliste ou d’un naturaliste obsessionnel.

Occupée – Julien Gracq, La Maison

« J’avais soudain la sensation absurde et en même temps extrêmement précise que le bois était d’une manière ou d’une autre occupé. »

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.