« Comme une église s’offre à l’homme qui prie, le livre appelle une vie qu’anime la passion de connaître, qui cherche et qui médite. Un si bel objet, si pur et spirituel à ce point, doit faire les délices de l’intelligence; par là, il n’a rien de commun avec la foule. La décadence du livre et sa laideur viennent de sa diffusion dans la multitude. (Il y a des plèbes à tout étage et en tout genre). On a perdu une beauté qu’on a voulu répandre. Rien n’est plus hideux qu’un journal; car rien n’est plus vulgaire : et le fond ne l’est guère moins que la forme. Le journal est le livre de tout le monde : impudent, il est toujours ouvert, même plié. Les monuments de pierre sont faits pour tous les hommes: ils se soucient à peine de les voir, ou ils ne font qu’y passer. On ne jouit pas d’un livre à dix, à vingt, ni à cent ensemble. On ne lit bien que dans la solitude. Le livre est comme l’amour aux âmes bien nées. À chacun son livre, et d’y avoir le plaisir qu’il peut y prendre. Le propre de l’objet spirituel est d’être singulier, et seul à seul. Tout dans le livre marque la personne et l’individuel. Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate; s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront: il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes ; la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l’effort et l’attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche de l’imagination particulière : tout y sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau. Le livre aura toujours des fidèles, les derniers hommes qui ne seront pas faits en série par la machine sociale. Un beau livre, ce temple de l’individu, est I’acropole où la pensée se retranche contre la plèbe. »

Faire défiler :

André Suarès, L’art du livre [1928], Editions Fata Morgana, 2022, 40 pages.

Pour poursuivre la route ensemble...
Déclin et salut de la littérature : Philitt revient, et redresse

« Laissons aux idéologues du déclinisme l’illusion d’un âge d’or révolu de la littérature – et osons être présents à notre monde. »

Mais ce serait peine perdue que d’en parler à d’autres | Herman Hesse

« J’appris à négliger les querelles du monde et à considérer quelle part me revenait de la confusion et de la culpabilité générales… Car on peut toujours redevenir innocent, si l’on reconnaît sa faute et sa souffrance et qu’on les supporte jusqu’au bout au lieu de mettre les autres en accusation… > Lire plus

Un amour à ne pas prendre – Patrick Tudoret, Le petit livre de l’amitié

L'amitié, cet amour à ne pas prendre : voilà qui me vient en refermant la nouvelle gourmandise littéraire de Patrick Tudoret, grand marcheur et farouche fidèle de la bénévolence (vouloir le bien d'êtres élus et s'engager pour agir en fonction - et non prétendre à l'intention bienveillante envers tous, hypocrisie > Lire plus

Les mots ne sont pas de ce monde
Hugo von Hofmannsthal, Les mots ne sont pas de ce monde – Éteindre le brouhaha

Les mots de ne sont pas de ce monde, ils sont un monde pour soi, justement un monde complet et total comme le monde des sons. On peut dire tout ce qui existe, on peut mettre en musique tout ce qui existe. Mais jamais on ne peut dire totalement une > Lire plus

« Il nous faut vaincre cette tentation de mépriser l’homme » | François Mauriac, Le Cahier noir

N'entrons pas dans leur jeu : que notre misère ne nous aveugle jamais sur notre grandeur. Quoi que nous observions de honteux autour de nous et dans notre cœur, ne nous décourageons pas de faire crédit à l'homme : il y va de notre raison de vivre - de survivre.

De l’impossibilité d’être intellectuel et moral – Fernando Pessoa, L’Education du stoïcien

Le Baron de Teive, 20e du nom d’une illustre famille portugaise, va se donner la mort. Intellectuel et moral, il n’a rien pu laisser derrière lui, préférant brûler ses ébauches de manuscrits. Seul un ultime journal, courtes pages laissées en guise de témoignage testament, nous serait parvenu sous le nom > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.