« Geneviève Bridel : (…) C’est le vertige alors qui vous attirait dans l’alcool ?

Jacques Chessex: Non, c’est le culte de la paresse. La consommation régulière et massive d’alcool entretenait en moi une sorte de paresse musicienne, peuplée, harmonieuse et immobile. Je ne buvais pas de manière gesticulatrice, je n’ai jamais été un ivrogne agité. Je pratiquais l’alcool comme Henri Michaux la mescaline. Avec une sorte de régularité assez effrayante (évidemment autodestructrice). L’alcool me permettait de m’aventurer dans des lieux obscurs en moi, d’approcher des fantasmes, des gouffres, de développer une mémoire. Il me plongeait aussi dans un état d’attente que j’aimais beaucoup. Je recherchais, moi qui suis Poisson, une espèce de descente en apnée, j’aimais les grandes profondeurs où le geste est inutile et même impossible. J’avais besoin d’une certaine dose d’alcool dans mon sang pour rester immobile dans un état situé entre le rêve et la réalité, un état semblable à celui que certains neuroleptiques, l’excès de café, ou d’énormes doses d’aspirine peuvent provoquer en moi. (…) Ma relation avec l’alcool a commencé à peu près en 1957, elle a duré grosso modo jusqu’en 1987.

G.B.: Ce goût du risque que vous avez mentionné à plusieurs reprises, notamment à travers l’écriture, était-il plus marqué à l’époque qu’aujourd’hui ?

J.C.: C’est certain. La proximité de la mort de mon père, comme une fascination de l’autodestruction, y était sans doute pour beaucoup. Cette même hantise a obsédé Hemingway toute sa vie. Son père s’était tué d’un coup de feu, comme le mien. Hemingway a fini par se suicider en se tirant une balle de fusil dans la bouche. Je ne le ferai pas, mais j’ai joué inconsciemment avec cette idée pendant les trente années qui ont suivi la mort de mon père, en prenant des risques physiques, souvent, qui reflétaient bien ma fascination devant l’autodestruction. Je ne m’économisais sur aucun plan, et j’ai tout de même mené de front, pendant vingt-sept ans, mon enseignement – que je prenais très à coeur – et l’écriture de mes livres. J’ai travaillé sans dormir jusqu’à en tomber. Mais j’ai vu que je ne pouvais pas me détruire. Je résistais.

G.B.: Comme si vous étiez protégé ?

J.C.: En tout cas protégé par une résistance à toute épreuve, une capacité mentale à me régénérer à toute vitesse pour affronter la réalité, non pas pour la combattre mais pour y trouver ma place. Je ne sais pas si je l’ai trouvée aujourd’hui, mais je vis de manière organique, accordée au monde. »

 

Jacques Chessex, Transcendance et transgression, entretiens avec Geneviève Bridel, La Bibliothèque des arts, 2002, pp 133-136.

Pour poursuivre la route ensemble...
Ils aiment la vie, la vie profuse, en attente, offerte à qui sait

« Mais ils [les auteurs islandais] ont en plus, comme systématiquement, un don de poésie, un sens de l’ailleurs et de l’autrement, une conscience des forces occultes qui nous mènent à notre insu, qui transfigurent, littéralement, leur façon de dire. Ils savent l’aliénation de l’homme d’aujourd’hui, le manque de chaleur, la > Lire plus

Origines du Grand Nord – Pythéas, de François Herbaux

« Aussi longtemps qu’il y aura des choses à chercher, il y aura des chercheurs. » disait le poète brittonique Aneurin, croisé dans La Figure du dehors de Kenneth White. Et c’est toujours un plaisir d’embarquer aux côtés d’un intempestif (hors de l’air du temps) qui cherche, qu’il soit scientifique, > Lire plus

Kertesz journal de Galere
Inflagration | Journal de galère, d’Imre Kertész

Je ne crois pas le journal de Kertész très bien nommé. Il n’exhale pas tant de « galère » que de grand chagrin blanc, refoulé au plus loin, caressant la mort des yeux sans jamais la trouver. Il traduit une tourmente consommée, une tornade de malheur bien plus maîtrisée que celle d’un > Lire plus

« Être humain, et une femme, ni plus ni moins » – Ida Vitale, Ni plus ni moins

La poète uruguayenne Ida Vitale fête aujourd'hui ses 100 ans. Ni plus ni moins ! Mystères « Quelqu’un ouvre une porteet reçoit l’amouren plein cœur. Quelqu’un qui dort en aveugle,en > Lire plus

Dantec, l’espace vital

C’est parce qu’il y a des facteurs à prendre en compte. J’avais vingt ans, et contrairement aux apparences, je sais être docile et fidèle aux vrais électrochocs. J’avais vingt ans, et il m’a inversée.

Benoît Vitkine, Donbass

Qui peut bien avoir poignardé ce petit garçon de six ans, abandonné sur un terrain vague dans la zone grise du Donbass déjà en proie à la guerre entre séparatistes pro-Russes et Ukrainiens ? C’est ce que veut découvrir le colonel Kavadze, décalé et amer. Nous sommes alors en 2018. > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.