« S’efforcer de voir la Providence à l’œuvre dans la vie privée est « également révoltante et pour l’intelligence et pour le cœur. » Quand la foudre tombe très près de quelqu’un sans le toucher, on dit souvent que la Providence lui a sauvé la vie, tandis que ceux qui se trouvent à un kilomètre, ou plus, ne croient pas devoir la vie à une intervention spéciale de Dieu. On pense donc apparemment que Dieu peut bien déplacer la foudre d’un centimètre, mais non pas d’un kilomètre, encore moins l’empêcher de tomber… »

Richard Rees, Simone Weil, Esquisse d’un portrait.

Tu ne voleras point.

Le Décalogue, huitième commandement.

Pour ceux qui sont tombés, par accident.

Dangers dans le ciel est une série franco-canadienne coproduite et diffusée par France 5 sur les différentes catastrophes aériennes de l’histoire de l’aéronautique internationale, fatales ou non, proposant reconstitution, témoignages et explication à partir des éléments de l’enquête officielle.

Dans le hall de l’aéroport de Fort-de-France où des centaines de proches attendent un avion qui n’arrivera plus, les responsables de l’administration se rassemblent, visages tendus, en haut d’un escalier, et, micro à la main, entament la déclamation des noms confirmés à l’embarquement. Un hurlement, un cri, un long sanglot ponctue alors la sinistre liste, des hommes et femmes s’effondrent. Plus tard le hall se vide, restent les cris du Purgatoire. Insoutenables et inoubliables. Parce qu’ils sont réels.

Conseils pratiques avant d’embarquer, en guise d’introduction.

Si lors de la réservation d’un vol auprès d’une compagnie plutôt poubelle il vous arrivait de tomber sur un appareil McDonnell Douglas, deux options s’offrent à vous : refusez poliment d’embarquer, ou demandez à vérifier vous-même le verrouillage de la porte de la soute à bagages. Vous vous rendrez service.

Si, en Amérique du Sud, au Proche-Orient ou au Japon vous apprenez que l’âge du copilote est inférieur à celui du pilote, prenez le train.

Demandez à revisser vous-même les boulons du pare-brise de l’avion.

Lors de l’embarquement, demandez une expertise psychiatrique de chacun de ceux à même de toucher le manche : si vous constatez des tendances dépressives ou vengeresses, retardez votre vol.

Si votre avion, en surcharge, entre dans une colonne de cumulus, ne confondez pas les vibrations des turbulences avec celles d’un décrochage. Si toutefois vous décrochez, ne cabrez pas l’appareil. N’hésitez pas à faire passer le message à un pilote trop borné, fût-il plus vieux que vous.

En cas de panne sèche à 12 000 mètres d’altitude parce qu’au Canada on confond encore les unités de mesure françaises et anglaises, faites du planeur avec votre Boeing 767, repérez une piste d’atterrissage désaffectée sur laquelle a lieu une course de dragsters à ce même moment, effectuez votre plus belle glissade, piquez du nez sur la glissière pour écraser le cockpit sur la piste afin d’épargner deux enfants à bicyclette et déposez vos passagers sans encombre. Respirez bien fort. Riez un peu.

En cas de fort givre, si votre avion doit stagner en vol en attendant l’autorisation d’atterrir sur un tarmac surchargé à cause des intempéries, ne pissez pas sur les commandes qui gèlent. Posez-vous, quoiqu’on vous hurle depuis la tour. Et dépêchez-vous.

Quoiqu’il arrive, priez, on ne sait jamais.

Je plaisante mais ne soyez pas dupes de ce rire de défense, ce n’est absolument pas drôle.

Pourquoi Dangers dans le ciel est une bonne série pour décompresser.

Parce qu’on y apprend plein de choses sur l’aéronautique et ses subtiles et néanmoins vitales nuances techniques, sur la météorologie, la politique internationale, la gestion de crise et du personnel, la maîtrise de soi, l’homme et le sacré, au lieu de jurer ses grands dieux qu’on ne montera plus jamais à bord d’un tel engin de mort. Certes, il peut l’être de façon relativement spectaculaire, mais normalement, vous devriez vous consoler par la constatation lumineuse que la profusion des défaillances, largement moins meurtrières qu’on ne nous le communique, est pratiquement toujours compensée en vol et se termine plutôt bien. Elle nous donne de plus des idées plus précises de ce à quoi pourrait s’apparenter aujourd’hui un héros. Car, si, un type qui perd ses deux moteurs en vitesse de croisière et fait du planeur avec un Boeing plein de plus de soixante passagers et les pose sans encombre tout en évitant les gens au sol est un héros, point. Excusez-moi, je ne m’en suis pas encore remise. Si vous voyagez sur cette compagnie, d’ailleurs, dites 33 fois Pearson et Quintal et demandez le planeur de Gimli (voir cet incroyable épisode, en début d’article). Enfin, elle réaffirme certaines valeurs, et cela ne va encore pas faire plaisir, comme celle apparemment bête comme chou qu’il existe de bonnes écoles, formant de tels héros, et les autres. De bonnes compagnies. De bons experts. Des bons, quoi. Et qu’on est très souvent entre leurs mains, pour changer. Sauf à sacrifier au dieu Discount. Mais depuis le temps qu’on le sait. Saufs avec les bons, perdus avec les mauvais. D’un simplicité enfantine.

Les reconstitutions sont souvent réussies, sobres et dignes, les témoignages fort bien coupés avant d’atteindre à l’insupportable car impuissante lamentation, l’émotion bien dosée mais toujours présente, le compte-rendu de l’expertise technique accessible et passionnante.

Au troisième épisode, on se surprend à soupirer anxieusement « Mais en même temps, c’est normal de décrocher quand on pousse à 33 000 pieds un appareil en surcharge, quelle connerie ! », et cette supériorité factice sur le déroulement des évènements est plaisante, avouons-le. Et puis nous ne sommes pas dans l’avion, et on s’en ressert un verre par reconnaissance cosmique et à la mémoire de ceux qui s’y trouvaient. Tous innocents, lavés par ce destin exceptionnel, pour une fois, allez, d’accord.

Enfin, pari réussi car l’odieuse récupération par le sensationnel n’était pas loin : ne pas exploiter le sang ni le chagrin outrageusement comme n’importe quelle inénarrable télé-trash-poubelle-réalité. Tout bon, en somme.

Pourquoi le crash d’avion fascine.

Parce qu’il tue au hasard, bonnes gens, et de façon plutôt sale. Et que trop souvent, les responsabilités conjointes rendent impossible la désignation d’un seul coupable à condamner lourdement comme tel. Les yeux pour pleurer, comme on dit, ou, comme dans ce témoignage d’une Martiniquaise à propos du crash Panama-Fort de France au Venezuela en 2005 : « Ce qui m’a rassurée, finalement, alors que cinq ans plus tard nous n’avons toujours pas l’ombre d’un procès en vue, c’est qu’au milieu des décombres, on a retrouvé autant de cadavres que de bibles. »

Parce que ce sont majoritairement des accidents, donc. Et que personne ne semble plus supporter cette idée. Alors c’est donc cela ? Des décennies de règne de la machine pour constater que nous tomberons toujours dans un fracas immense, injustement et dramatiquement…

Parce qu’il faut bien le dire : cela n’est jamais tombé sur nous ni sur nos proches. Est-ce un cauchemar ? Peut-on le croire, même en l’ayant vu ?

Pourquoi cette expéditive et promotionnelle mise en boîte ?

Parce que Dangers dans le ciel est une bonne série pour décompresser et que le crash d’avion fascine, autant qu’il dénoue. Qui plus est lorsqu’il n’est jamais tombé sur nous. Et qu’on nous explique pourquoi cela n’arrivera pas, malgré nos folles et inavouées attentes.

Mais surtout parce que, pour une fois, des tôles tordues de douleur dans une montagne sacrée, engloutissant la vie de nombreux ironiques élus, s’échappe le message littéral que chacun sait entendre, quand il prête attention.

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