It’s temporary, this place I’m in.
I permanently won’t do this again
My belongings scattered across the hotel floor

J’ai rassemblé les bribes dans mon esprit, jour après jour, attendant enfin que ces papiers déchirés de propos vexatoires, d’humiliations légales, de douce folie méchante, d’absurdité probante des procédés, de pratiques indignes lancées au hasard des humeurs à cran, finissent par former, enfin, le cahier infâme que j’attendais, que je finissais par espérer pour l’ouvrir enfin, assurée d’une rage calme et brimée, probablement démente.

Cette rage terminale d’avoir su monter les spirales autour des feuillets épars, difficile à trier, pour enfin restituer le grand message à ces oreilles complaisantes et averties, dans le but seul de faire s’échapper enfin l’animal bloqué toutes ces semaines dans ma poitrine, ce ne fut même pas satisfaisant, bien entendu. Il me fallut apprendre la déception de n’être même pas fière de cet exploit minime, ridicule d’isolement dans la marée déferlante des complaisants qu’on aura dérangés un instant dans leur béatitude d’être les employés du mois. De qui, pourquoi ?

C’est un peu comme lorsqu’il fallut traverser la pièce, brisée et debout, en essayant de se souvenir comme les regards pesants de ceux qui n’ont encore rien dit de la révolte qui les hante et n’en feront certainement jamais rien ne comptaient pas, ne devaient plus compter. Assourdie par la sentence de disgrâce brutale, je me savais debout, mais vaincue par l’incapacité d’emporter avec moi les esprits appartenant à ces yeux lourds et baissés, qui se débattaient pourtant depuis longtemps en dessous de leurs habits d’indifférence empesés et malheureux comme leurs pierres lancées contre moi sans autre haine pourtant que celle envers eux-mêmes.

J’aurais su vous comprendre, et effacer le mauvais geste, si un sursaut avait su vous rendre à la vie. Un signe.

C’est pourtant moi seule qui prends les coups, qui saigne, qui doit tout recommencer.

Le cynisme ambiant sait donner les arguments de l’immobilisme à ceux qui sont trop intelligents pour se dire manipulés. Oui, bouger, mais finalement, pourquoi ? Pour arriver à quoi ? A retrouver la même chose partout ? Ne vaut-il pas mieux arrêter de s’ébruiter et s’agiter en vain mais se fondre, se taire, profiter de chaque situation ?

Je ne dors même pas mieux que le cynique, libre mais seule, intègre mais épiée, inspirant la méfiance à tous ceux qui célèbrent le courage pour autant qu’ils n’y soient pas mêlés.

Et quel courage… quel intense courage que celui qui ne nous empêchera pourtant pas de manger, dormir, vivre. Il faut voir quel courage il reste à ces individus sans guerres, qui loin de se servir des immenses chances qu’il ont pour se forger une résistance à toute épreuve, se font les porte-drapeaux d’idéaux nombrilistes, abrutissants, meurtriers dans la sournoise inquisition de leur ventre, répandant la douleur sans blessure, l’absence de raison valable pour pleurer, vaporisant dans les derniers vents de désespoir, bientôt sentiment trop violent encore, leurs dernières neurones dépouillées de quelque fonction que ce soit.

Puisque je ne meurs pas sous les balles, mon combat esseulé et écervelé ne représente rien. Ne vaut rien. Puisque le malheur des autres n’a pas fait mon bonheur, je n’ai pas le droit de pleurer, de me battre, je suis un monstre de dire que les malheurs, quels qu’ils soient, se juxtaposent, s’additionnent et que tout malheur est bon à combattre chacun avec ses armes, et tous en même temps. Mais vous attendez, rongez votre frein parce que vous le savez bien qu’enfin, un jour, il arrivera le choc réel, le deuil, l’infamie reconnue, labellisée par la foule qui vous permettra enfin d’avoir le droit de combattre votre condition. Mais c’est trop tard. Vous n’êtes plus entraînés. Vous préférez encore qu’on vous dise dignes, vous avez en vous taisant plus de médailles.

C’est exactement sur vous que comptent les plus malins et les plus infiltrés pour détruire en toute impunité la volonté d’exister avant de mourir qui se trouverait encore dans vos entrailles.

Que risquiez-vous pourtant ?

Que risquai-je ?

Alors j’ai quitté mon emploi. Et demain n’a plus les certitudes mauvaises qui m’empêchaient d’y réfléchir. Ma vie m’appartient, j’irai où je déciderai d’aller, et les commandements stupides de mes égaux n’auront plus de prise sur moi.

Soyez courageux, sachez me le rappeler.

Credits : Dorothea Lange: Toward Los Angeles, California, 1937

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