Dieu seul a le pouvoir de vous abandonner. Les hommes ne font que vous lâcher.
Pascal Michel, prophète nu.

Rachel a 38 ans, ne sait pas clairement où cela la situe dans le spectre des bombes, et n’a plus vraiment le cœur à battre, disons-le. L’amour de sa vie (très exactement, puisque l’amour qu’elle pensait avoir reçu tout le long d’une vie confortable) le mûr Clarence est mort, et son vide absolu. Avec Jack, une conquête bien montée et Jenny, celle qui pourrait être rivale si elle n’était pas si passionnément et exclusivement danseuse de nuit, elle part se dépouiller dans un camp nudiste californien, après s’être teint en un blond quasiment mythologique, ayant pour étrange effet d’embraser celles et ceux qu’elle rencontre. Nous sommes en 1973.

Le 16 août 2018 en librairie

D. Foy souffre et irradie, flambe au centre de sa belle Rachel, et tel un cheval de Troie qu’il a fait entrer au royaume hippie, éreinte les peaux bronzées de ses personnages pour en faire sortir le jus du malheur, du chagrin, de la solitude, de la jalousie ; puis lorsque les corps sont tannés par son style bestial, parfois aboyé ou gémi, envoyé au galop, haché, absolument étranger, il en révèle comme par accident les cœurs bruts, la sérénité arrachée, vaille que vaille, à la brutalité de l’existence. La paix, non négociable.
Il faut avoir creusé jusqu’au sang et être revenu du gouffre pour se livrer, nu, au-dessus, absolument doré. Un texte peu comparable, lu sur épreuves non corrigées ce qui accentue la valeur brute, primitive de l’expérience. Il suscitera tour à tour agacement et empathie, et n’ira pas, bien léché, nous séduire immédiatement, mais nous demandera de faire l’effort de le rejoindre où il se trouve, lui. Et il se trouve chez les grands brûlés.

D. Foy, Brooklyn, un chien et la volonté de disparaître sous les encres, a déjà écrit deux autres romans, Made to Break et Patricide. Il faudra l’y retrouver.

« Il y a plein de gens, Rachel, qui ont essayé de faire toutes sortes de choses et qui ne sont arrivés nulle part, probablement parce que tous les autres trucs qu’ils avaient fait avant, vous voyez, les en empêchaient constamment ? Et puis il y a les gens qui n’ont jamais rien fait, qui n’ont jamais fait quoi que ce soit de remarquable, je veux dire, et pourtant ils nous semblent remplis, je ne sais pas, de diamants, d’argent et d’or ! C’est vraiment incroyable de voir ça. »*

__

« Jack vivait son danger. Il courait avec les bêtes de ce monde, les chiens les plus fous et les chevaux les plus sauvages, croyant, d’une certaine manière, que c’était bon pour lui alors qu’elles le tuaient à petit feu, comme on dit, ces bêtes qui étaient ses amies. »*

__

« Titans dans le sang ! Ogres dans le cœur ! Ma chérie, ces expressions seraient aussi inutiles qu’un cri dans une chambre froide si on devait les comparer au désir de ce couple, car dès qu’elle l’aperçut, elle commença a avancer vers lui, poire à insémination en main comme une grande matraque d’amour. Et en effet, ils étaient possédés par un tel désir que s’il n’y avait pas eu une cabine d’essayage tout près, les citoyens assez chanceux pour être dans leurs parages auraient assisté à un acte de copulation si violemment incontrôlé, si indubitablement canin, qu’il en aurait surpassé tous les autres, dans n’importe quel livre ou histoire, même si elle avait été écrite par un maître du genre, comme Boccace, par exemple, ou L’Arétin ou Rochester. »*

*Traductions non définitives à cette date, peuvent sensiblement varier.

D. Foy, Absolutely Golden, traduit par Sébastien Doubinsky, Le Serpent à plumes, 2018.

À lire au soleil avec un gin tonic, et pourquoi pas en écoutant ceci :

 

Pour poursuivre la route ensemble...
Andreï Kourkov, Les Abeilles grises

Les Abeilles grises est le dixième roman de l’ukrainien de langue russe Andreï Kourkov à avoir été traduit en France (avec aussi son Journal de Maidan, tous aux éditions Liana Levi. A partir du début de la guerre en Ukraine, il ne s'exprimera et n'écrira plus qu'en ukrainien). Un drôle > Lire plus

« Quelque chose est fini » – Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi

Quand on aime le plus intensément, quelque chose est fini.

George Steiner et l’infinité des possibles

« Le concept kierkegaardien de « l’infinité des possibles », d’une réalité offerte dans son entier  à la déchirure du désastre et de l’absurde, est maintenant un lieu commun. Nous en sommes revenus à une politique de torture et d’otages. La violence, institutionnelle et individuelle, lèche les murailles de la cité, creuse, érode, > Lire plus

Crise de nerfs en Toyota Corolla – Horacio Castellanos Moya, Le Dégoût

« La stupidité, on ne peut en venir à bout qu’en l’arrachant d’un coup, la stupidité humaine ne comprend rien aux demi-mesures. » Moya, attablé avec son ami Vega qui revient au Salvador enterrer sa mère après un exil de plusieurs années, écoute le long monologue de celui-ci qui a décidé, après > Lire plus

Le noir positif et la belle vie difficile | Karen Blixen

« Les grands calaos sont des oiseaux très étranges. Les voir est une expérience en soi, pas entièrement plaisante du reste, car ils ont l’air si omniscients. Un matin, avant le lever du soleil, j’ai été réveillée par un caquetage aigu devant la maison et, en sortant sur la terrasse, j’ai > Lire plus

Brice Erbland : De la hauteur

Crédit photo Qui n’appréhende rien présume trop de soi. Pierre Corneille, Polyeucte. À la mémoire des hommes tombés pour tous. J’ai terminé de lire Dans les griffes du Tigre, récits d’un officier pilote d’hélicoptère de combat, de Brice Erbland, la veille de l’annonce de l’entrée en guerre de la France aux côtés du > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.