Chronique Erreur 404, publiée le 16 décembre 2017 sur Profession-Spectacle

Lundi

La haine de Johnny commence à doucement faire place à celle de Noël, tout est doux, calme et silencieux dans les foyers abandonnés par ceux qu’on a poussés dehors avec nos frustrations systématiques.

C’est vieux comme un monde qui rejoue en boucle sa farce : nous sommes contre le succès, les honneurs et l’argent lorsque nous n’en avons pas.

Que fait-on le reste du temps, les maigres minutes qu’il nous reste en dehors des rancunes tenaces contre un système qui ne nous a pas tout donné malgré ses effets d’annonce ? On cherche à en obtenir le plus possible pour nous-mêmes. Pourquoi donc personne ne nous écoute ? Pourquoi le culte des morts et des célébrités ne s’arrête-t-il pas immédiatement parce que je suis malheureuse et que je demande toute cette attention pour moi, en tapant du poing ?

Parce que je brise un tabou que personne ne pardonne en insultant un cadavre encore tiède. J’ai perdu ma place d’être humain parmi la cité ; ma seule issue sera ma propre mort, ici sociale, comme les meilleures tragédies anciennes vous le rappellent.

Mardi

Je ne veux plus jamais faire partie de ces meutes affreuses qui ne trouvent d’autre combat que de perturber les obsèques des nantis (quel courage ! quelle dignité…), alors même qu’elles s’étrangleraient de rage si l’on allait dire à un type mort dans un accident de voiture, devant sa femme et ses gamins : « Bien fait ! Un pollueur de moins sur la route ! »

Sont-ils effrayés de comprendre au plus profond de leur tourment qu’ils sont à deux doigts de dévisser à tout jamais et d’aller gifler des inconnues pleurant leur père ? N’importe qui, n’importe lequel pourvu qu’il soit sale et nous propres, qu’on puisse trier les hommes finalement comme toujours : ceux qui peuvent mériter des honneurs, et ceux dont on doit balancer la dépouille hors de la cité.

Ils dévissent. C’est l’effet terrifiant qu’ils me font.

Mercredi

Je reçois en privé, sur un réseau social où je ne m’aventure plus guère pourtant par temps d’hystérie collective, un message violent d’une parente que je ne vois jamais. Elle semble hors d’elle parce que des motos vont circuler dans Paris et abîmer ses poumons, lors de l’enterrement d’un « drogué, exilé fiscal », je cite.

Il serait légitime d’attendre de la part de « ses proches » une gestion de leurs contacts un peu rapprochée, sensible, pensée. Mais aujourd’hui on ouvre avec fracas n’importe quelle porte et on vomit sur les paillassons indifférenciés de ses enfants, de ses ex, de ses collègues. Il y a des start-ups de formation à la communication de crise personnelle qui se perdent. Fut un temps où l’on appelait cela des écoles de philosophie. Le Portique, l’Académie, le Jardin : tu te soignais en mangeant solide et en écoutant mieux.

Et je l’imagine, sérieusement. En train d’écumer les enterrements de drogués, leur hurlant que ce sont des médiocres (pour citer un autre terme du message). Entrer furibarde dans l’église où l’on honore un homme, mettons chef d’entreprise, pour pisser sur son cercueil de salaud de mâle et de patron. Investie de la vertu divine et digne d’incendier de sa mystique fonction les détritus de la société, au nom de sa sainteté et de sa propreté d’âme.

Jeudi

Ma mère, de passage pour préparer Noël avec pour seul motif aujourd’hui inavouable d’émerveiller son petit-fils, tente de m’apaiser : « Elle a été piratée, à tous les coups, cela arrive constamment en ce moment. »

Je note l’extraordinaire opportunité. Vous pouvez aujourd’hui vous défouler auprès de qui vous voudrez, ne plus vous contrôler, ne plus rien retenir. Il suffira le lendemain de dire que vous avez été piraté.

Vendredi

Le jour commence, et sur Nostalgie, immédiatement après l’annonce de la mort de collégiens dans un accident, j’entends la pub de telle grande enseigne, joviale et tellement « le client au centre » qu’elle a payé pour être diffusée pendant les informations, heure de grande écoute. Tant pis pour le choc intense que produira la juxtaposition d’un accident terrible et de bons d’achats pour des gadgets inutiles et mal fabriqués, le tout hurlé dans nos oreilles avec débit diabolique augmentant considérablement la fréquence cardiaque, afin d’en placer le plus possible dans la durée standard d’un spot bas de gamme. Puis arrivent les présentateurs et leur jeu pour faire gagner un voyage au Mexique. Ils gloussent sur Maya l’abeille, la cascade de mycoses et le fait de bien faire attention à porter deux slips en cas de tourista. L’homme gagne 1 000 euros pour avoir su deviner, parmi les paroles proposées, « comme un dimanche », au lieu de « comme une fausse hanche » ou « comme l’accrobranche » dans une chanson d’Eddy Mitchell.

On a coutume de citer Nelson Mandela (entre autres « super inspirants »), sur LinkedIn, le réseau professionnel des gagnants en costume Célio. Dans un visuel composé en Comic Sans MS, sur une photo volée de coucher de soleil, on peut lire : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. »

Je préfère encore le Tennessee, déposez-moi là.

Ce sera tout pour cette année.

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