Les siestes du Ranch - Extraits
Nous sommes après le repas. Tout le monde dort. Tout le monde ? Non, au Ranch, la taulière veille et cherche sur son vieux talkie à capter les êtres encore debout, en émettant en boucle les extraits les plus saillants de ses ouvrages favoris.
« Il nous faut vaincre cette tentation de mépriser l’homme » | François Mauriac, Le Cahier noir
N'entrons pas dans leur jeu : que notre misère ne nous aveugle jamais sur notre grandeur. Quoi que nous observions de honteux autour de nous et dans notre cœur, ne nous décourageons pas de faire crédit à l'homme : il y va de notre raison de vivre - de survivre.
Retourner dans la chambre – Lokenath Bhattacharya, Où vont les fleuves
Mais consciemment ou non, l’expérience à laquelle aspire l’écrivain, qu’il parviendra peut-être à goûter si les circonstances sont favorables, est, au sens le plus large, de nature profondément religieuse.
Witold Gombrowicz, « Je ne suis pas à la hauteur de ce genre d’abîmes » – Lettres à ses disciples argentins
« Tout ce qui te reste à faire c’est de m’admirer, et limite-toi à ça sinon je t’égorge comme un lion féroce. Je t’autorise en revanche l’usage de l’ironie comme dans tes dernières lettres, parce qu’elle se développe sur un ton d’admiration – TU IRONISES À MON PROPOS PARCE QUE TU M’ADMIRES. »
Simone Weil, La Personne et le Sacré – Le cri est infaillible
« Il est inutile d’expliquer à une collectivité que dans chacune des unités qui la composent il y a quelque chose qu’elle ne doit pas violer. D’abord une collectivité n’est pas quelqu’un, sinon par fiction ; elle n’a pas d’existence, sinon abstraite ; lui parler est une opération fictive. Puis, si elle était quelqu’un, elle serait quelqu’un qui n’est disposé à respecter que soi. »
Paul Gadenne, L’Enfer de Sartre – La souffrance morne de l’athée révolté
À vrai dire une seule chose intervient ici pour démentir quelque peu cette impression : la violence avec laquelle ces êtres s’en prennent à leur destin. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, car à vrai dire la révolte ne se justifie que si l’on peut en appeler à quelqu’un. Il n’y a pas de révolte concevable dans une prison sans gardiens, dans un univers privé de maître.
Marcel Aymé, Le Confort intellectuel – Dégradation accélérée du romantisme
Le malheur est en effet que depuis une trentaine d’années, il n’existe plus véritablement de snobisme. Ceux qui semblent encore préposés à cette fonction ne possèdent plus les vertus nécessaires de frivolité et d’instabilité. Ils prennent tout très au sérieux et ne gardent plus par devers soi cette légère réserve d’ironie qui permettait autrefois d’oublier et de repartir.
Theodore M. Porter, La confiance dans les chiffres – Société et information
Quand les choses vraiment importantes paraissent arides et ennuyeuses, quelque chose d’amusant, d’une drôlerie souvent irrésistible, est en train de se passer peut-être à peine sous la surface. Je fais de mon mieux pour y emmener mes lecteurs.
Ernst Jünger – « Nous étions trop les uns sur les autres»
Et l’homme est bon. Sinon, comment pourrait-on vivre à ce point les uns sur les autres ? Chacun le dit en parlant de lui-même. Personne n’a été l’agresseur. Tout le monde a été l’agressé.
Junichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre – La fallacieuse beauté de la pénombre
Tout bien pesé, c’est parce que nous autres, Orientaux, nous cherchons à nous accommoder des limites qui nous sont imposées que nous nous sommes de tout temps contentés de notre condition présente ; nous n’éprouvons par conséquent nulle répulsion à l’égard de ce qui est obscur, nous nous y résignons comme à l’inévitable : si la lumière est pauvre, eh bien, qu’elle le soit ! Mieux, nous nous enfonçons avec délice dans les ténèbres et nous leur découvrons une beauté qui leur est propre.
Ernesto Sabato – «Tu auras à pardonner cette sorte d’insolence un nombre infini de fois »
Tu me demandes conseil, mais ces conseils je ne puis te les donner dans une simple lettre, ni même sous la forme des idées contenues dans mes essais, qui correspondent moins à ce que je suis véritablement qu’à ce que je voudrais être, si je n’étais incarné dans cette charogne pourrie, ou sur le point de pourrir, qu’est mon corps.
Lucien, Comédies humaines – Contre la profanation par les incultes
« Cependant, si tu as décidé de rester, envers et contre tout, en proie à la même maladie, va, achète des livres, garde-les sous clef chez toi, et jouis de la gloire de les posséder. Cela doit te suffire. Mais ne les touche jamais, ne les lis pas, ne livre pas à ta langue la prose et la poésie des auteurs anciens qui ne t’ont rien fait de mal. »
Léon Bloy, Méditations et Sang du pauvre : les profiteurs de guerre
« On ne peut rien faire sans argent », dit un lieu commun dont la stupidité sacrilège est parfaitement ignorée de ceux qui en font usage. Sans doute on ne peut rien sans la sueur et le sang du pauvre ; mais cette sueur, quand elle coule d’un noble front, et ce sang, lorsqu’il ruisselle d’un cœur généreux, ce n’est pas aux chiens de les venir boire et c’est une horreur d’en être témoin.