il a coutume de placer un trou
sur un autre, il annonce de grandes trombes,
principales mesures du frisson,
la température varie beaucoup
coïncidant avec d’intenses réflexions
à la fin des fêtes dont on n’est pas venu à bout,

sans jamais être allé à Pompéi,
il prend les virages de l’autoroute à 130 à l’heure,
il oublie son identité comme
position réfractaire du ventre,
[…]
[sous condition d’informer]

Puis José Carlos Becerra, ce Mexicain qui vivait « les doigts dans la flamme » pour reprendre le titre d’Octavio Paz, prit le virage de cette route d’Italie, en mai 1970, et abandonna ses trente-trois ans sur la chaussée comme une mue devenue trop petite, le manuscrit de Comment retarder l’apparition des fourmis dans la carcasse accidentée.

Prophétique, le poème cité en exergue et issu de ce recueil hante les deux traducteurs Bruno Grégoire et Jean-François Hatchondo, qui ont entrepris de faire connaître l’œuvre principalement posthume de ce prodige des lettres mexicaines. Après La Parole obscure [La Nerthe, 2014] et Récit des événements [Belin, 2002], deux seuls recueils de poèmes parus du vivant de l’auteur et disponibles en France, voici une nouvelle livraison magnifiquement composée, comme toujours, par les éditions de La Barque [2021], en attendant, peut-être, le jour de son Œuvre complète telle qu’elle a paru au Mexique, préfacée par Octavio Paz, à qui il ne fallut qu’une poignée de poèmes, comme il est dit en postface, pour reconnaître en Becerra une voix parmi les plus sûres à suivre.

Becerra sera comparé (Saint-John Perse, Claudel, par ailleurs ses inspirations directes pour La Parole Obscure, Néruda) mais demeure incomparable. Dans Comment retarder l’apparition des fourmis, un titre dont le coup de foudre continue sa mission de combustion dans ma chair comme une formule magique venant débloquer les voies secrètes du passage des mots qui résolvent, un titre qui comme toute la poésie mondiale sans exception ne peut être prouvé, ne peut tenter de convaincre, n’essayera même pas, ne peut que s’exposer dans une fébrile humilité humiliée afin d’être choisi, les poèmes se suivent et fonctionnent ensemble mais à distance spontanée et innée, comme le ban de poissons ou la volée d’oiseaux, scandés par d’absurdes virgules, des virgules partout, à chaque strophe ou presque, des virgules qui entament, qui finissent ou plutôt ne finissent rien, des propositions de voyages dangereux, où l’on peut risquer le vertige ou la cage, des virgules pour creuser la page, pour gifler le langage, pour nous faire respirer et poursuivre, surtout, ne jamais nous arrêter, sauf dans le crash.

Surpris enfouis au milieu de l’audacieuse sélection Poésie de la librairie La Boîte à Livres à Tours, alors que je déambulais seule et sans but dans cette ville comme j’aime à le faire aussi souvent que possible, dans toutes les villes ou villages que j’arriverai à me mettre sous les pieds et entrant partout où des fous ont rassemblé des livres dans une tenace et toujours émouvante intention de nous faire part de quelques trésors dissimulés parmi les immondices, ce grimoire jaune, je le garde comme un memento mori supplémentaire, un talisman contre la mort qui entoure puissamment tous ceux qui s’approchent trop des virages de l’être. Et vous propose de vous emparer vous aussi, sans aucune certitude que le sortilège fonctionnera pour vous.

L’édition est par ailleurs bilingue, le texte espagnol placé après les poèmes traduits ensemble (pour ne pas rompre leur procession), et l’on comprend qu’il se trame également quelque chose dans la concision radicale de cette langue que j’entreprends – car j’ai trop tardé – d’apprendre en ce moment même. Les deux postfaces sont aussi riches de renseignements (il y en a peu, voire pas, sur cet écrivain, en français, en dehors de quelques revues littéraires aussi vaillantes que confidentielles) que de sensibilité dans leur réception de ces poèmes. Le tout compose ainsi un livre qui s’apprécie comme une expérience complète, forme et fond.

 

« Pourtant Becerra revient, il revient comme il le souhaitait, parce qu’il le souhaitait. Il y a des insectes plus opiniâtres, plus obstinés que les fourmis, les termites ou les mouches. Ces insectes sont les mots, ils ont des pattes, des poils, des mandibules, des élytres, des antennes, des ailes, ils sont irisés, parfois sombres ou noirs, ils bourdonnent, vrombissent, stridulent, s’élèvent et luisent dans le soleil, comme la poussière danse dans le soleil, non pas la poussière qui recouvre comme un suaire les choses et les corps morts et oubliés, mais celle qui ravit un enfant s’éveillant doucement dans une chambre zébrée par la lumière. » Jean-François Hatchondo, traducteur, dans la première postface.

 

José Carlos Becerra, Comment retarder l’apparition des fourmis – Cómo retrasar la aparición de las hormigas in El otoño recorre las islas (Mexique, 2017), traduit de l’espagnol, annoté et postfacé par Bruno Grégoire & Jean-François Hatchondo, Editions La Barque (2021), 96 pages.

 

 

 

Pour poursuivre la route ensemble...
santa muerte
Santa Muerte : que votre mort soit sanctifiée

Un noyau dur de pure folie semble grossir et prendre dans son ambre le moindre des mouvements encore libre. Je ne peux soutenir le regard retourné de ces habitants hantés par leur incalculable, irréparable malheur.

De loin on dirait des mouches, de Kike Ferrari : le pouvoir des larves

Si tous moi non, sifflote le balayeur des souterrains, sur son quai bondé de solitudes alternées. Tous ceux qui dégradent l’esprit de ce monde, ne se tiennent jamais, je leur ferai manger la terre qu’ils ignorent, cracher les vers du nez. Donnez-moi un stylo.

« Le secret, c’est de ne jamais accélérer » | Heptanes Fraxion, Ni chagrin d’amour ni combat de reptiles

Il y a quelques mois, bien entouré d'autres, j'ai lu ce poème Ni chagrin d'amour ni combat de reptiles. J'ai pensé me faire tatouer le titre sur le bras, comme une bravade mystérieuse vers des ennemis invisibles et des copains imaginaires. Mais son auteur, l'étrange et magnétique Toulousain de la > Lire plus

Via Ferrata : chevaux et cheminot – Entretien avec Fred Pougeard

Parfois il accroche un morceau d'extérieur qui fuit à toute blinde par la fenêtre de son train régional, parfois il remonte par l'écrit le pantalon de son père.

Littérature mondiale Martin Bodmer
Une place pour chacun, et chacun sa place avec Martin Bodmer

Voici donc notre bibliophile éperdu se livrant à ses carnets, et arpentant les questions infinies de la collection, de la sélection, de la magie des bons textes, à la recherche de fils d’Ariane dans nos labyrinthes, de définitions, de circonscriptions, battant l’air, frappant l’eau sans se décourager, cartographiant les époques, > Lire plus

Les Carnets d’Albert Camus : Exercices solaires

Déguster les trois tomes des Carnets de Camus, c'est affronter les deux faces de son soleil invincible: l'or et le noir, tout au long d'un défilé d'aphorismes et de pensées brillantes, anecdotiques ou hermétiques. C'est également l'émotion de voir vieillir un homme de cœur, ambivalent et évoluant dans toute l'Europe > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.