Découvert à sa parution, l’année dernière, idée de lecture soufflée par le traducteur Nicolas Richard pour me changer un peu des moustachus de plein air dont la dévoration devenait exclusive (Harry Crews et Jim Harrison en l’occurence), je me rappelle comme si c’était hier du choc de la réception de ce roman. Son sujet que je n’avais pas encore lu ailleurs (le génie chez non pas une, mais deux femmes, amies ambiguës, l’une scientifique, l’autre littéraire et leur relation ambitieuse et éprouvante racontée alors que l’une vient de se suicider) me revint récemment en tête alors que je terminais le magistral Passager de Cormac McCarthy dont le personnage féminin principal est une mathématicienne surdouée internée qui désire mourir, formant un duo retiré du monde avec son frère Bobby, transi et fasciné, non moins brillant. Les « deux cultures » comme les nommaient Charles Percy Snow en 1959, futilement opposées, le prix à payer de la connaissance, le pouvoir mystérieux qui émane des êtres qui sont indéniablement supérieurs intellectuellement, la brutalité sèche d’une langue qui cherche mais ne séduit pas : oh, bien sûr, les corrélations entre ces deux livres s’arrêteront là, mais cela m’a donné envie de publier ici le rapide retour de lecture que j’en avais alors fait pour la librairie Une page à écrire, à Janville.

«Adèle jubilait, elle adorait ça, perturber le jeu des Deville, balancer dans notre conversation des jetons double face, pile vous connaissez, face vous ne connaissez pas, c’est moi qui vous l’apprends, et pourtant les spécialistes de la langue ici, c’est vous, non ? Le monde à l’envers ! Les adjectifs pleuvaient, j’aurais du m’en réjouir, mais c’était une pluie acide. Je m’en voulais, je me demandais : était-ce moi qui avais un problème, un vrai dérèglement, ou était-ce toujours comme ça ? Dans une assemblée, y a-t-il toujours un moment où on cherche à être la plus belle, la plus fine, la plus drôle, et où on veut que ça se sache ? Est-ce que doit toujours arriver l’Instant suprême où il faut se comporter comme la reine de la ruche ? Est-ce qu’une intelligence ne peut pas simplement s’incliner devant une autre ? Accepter ses limites ? Se réjouir d’être stimulée par plus grand qu’elle, l’admettre et sourire ?»

L’une, Adèle, est matheuse, l’autre, Rachel, littéraire. Brillantes, ces deux amies nourrissent une relation ambiguë de fusion et de compétition. Leur but : embrasser tous les champs intellectuels, être des « filles parfaites » en terrain habituellement masculin, belles et intelligentes, accomplies, mère, pour l’une, pas pour l’autre. Mais tendre vers la perfection a un prix. Lorsqu’Adèle la mathématicienne se suicide (pendue, comme un homme), Rachel, l’écrivain, résignée, soulagée autant que mortifiée, se met en devoir de témoigner, car après tout, la littérature, elle, reste. Sous sa plume qui tente d’en élucider le destin, on découvre une Adèle bouleversante, turbulente, indomptée mais écrasée sous la pression, laissant un fils qui devra refuser ce funeste héritage. Un roman fin et émouvant, terriblement intelligent, lui aussi, qui choisit l’imperfection de vivre.

Nathalie Azoulai, La fille parfaite, P.O.L, 2022, 320 pages.

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