Un petit ouvrage posthume et serré, composé de 32 notes par l’un des penseurs majeurs du XXe siècle allemand. Si ces réflexions autour de la figure du roi des animaux dans la culture humaine sont souvent déroutantes par l’originalité et la rareté des angles abordés, c’est surtout parce que le lion y brille plus d’une fois… par son absence. C’est un portrait au relief précis qui s’achève en fin de lecture, teinté de ce jeu entre la place supposée du lion et celle qu’il ne tient plus, et qui se termine toujours par une réflexion philosophique fine et plus large sur ce qu’en fait l’homme, et sur ce rappel moins attendu qu’il n’y paraît: « Même sans se poser en protecteur de la nature, il faut bien dire qu’un monde sans lions serait désolant

Extrait:

« L’homme est l’animal qui possède d’autres animaux. D’abord comme animaux domestiques puis, beaucoup plus tard, comme animaux à contempler.
En matière de goût pour les animaux à contempler, on observe une prédilection frappante pour deux espèces, et telle que leur absence dans une exposition permanente – nommée jardin zoologique – lui ôte presque toute valeur. Tout zoo doit avoir des éléphants et des lions. Pour tout le reste, il existe une certaine tolérance.
À cela il convient d’ajouter que ces deux animaux-là justement ne se font rien l’un à l’autre, quoique l’un soit très avide de chair et l’autre bien en chair. Pourtant, on ne peut pas dire non plus qu’ils vivent en paix ni en bonne intelligence, ce que l’homme imagine bien volontiers.
S’ils ne se font rien, ce n’est donc pas par affection. Au mieux, cela peut se décrire ainsi : ils ne s’intéressent pas l’un à l’autre.
C’est la base la plus solide pour survivre l’un à côté de l’autre. En comparaison, toute forme d’ « amour » serait dangereuse.
Voilà qui donnera matière à réflexion à ceux qui ne se satisfont jamais du fait qu’ « il ne se passe rien ». Au lieu de dire qu’il ne doit rien se passer, le plus sûr est de dire qu’il ne peut rien se passer. Et pour garantir cela, le plus sûr, encore une fois, est la situation qui existe entre l’éléphant et le lion : l’un est absent pour l’autre. »

Hans Blumenberg, Lions, traduit de l’allemand par Gérard Marino, Les Belles Lettres, pages 91-92.

lions

Illustration de l’article tirée d’un détail de la couverture américaine

Pour poursuivre la route ensemble...
Briser la ligne | Les mots du Mal, David B. Deckard

Les mots qu’on m’adresse semblent tous trempés dans du poison de dendrobate, et même s’ils ne visaient aucun organe vital, me frôlant, ils me contaminent et me promettent une agonie fastidieuse. Et pourtant, malgré tout, je ne meurs pas. Pas encore. Alors m’approcher du gouffre de David, je n’en avais > Lire plus

Le triomphe du ciel – Alain Cueff, Ciels d’Amérique (1801-2001) [Arts]

Thomas Cole, Winslow Homer, Albert Pinkham Ryder, George Belows, Alfred Stieglitz, Mardsen Hartley, Georgia O’Keeffe, Thomas Hart Benton, Jackson Pollock, Barnett Newman, Robert Smithson, Walter De Maria, Ed Ruscha et Jack Goldstein vous convient à traverser leur pays par tous les vents, de jour comme de nuit, de la « destinée > Lire plus

« Quelque chose est fini » – Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi

Quand on aime le plus intensément, quelque chose est fini.

La vie sous Terre (Ils ne sentent rien)

Et qui tolère le bruit est déjà un cadavre. Guido Ceronetti, La patience du brûlé. "Voici ce dont j'ai souvent été témoin empruntant l'une de ces vieilles lignes de train en sous-sol où c'est encore un conducteur humain aux commandes, et que dans la vitesse d'une longue courbe le wagon se > Lire plus

Voyage avec les déjà-morts – Tandis que j’agonise, de William Faulkner

Souvent, leur langue bute comme la bêche dans un terrain aride, elle se rend, ne termine pas ce qu'elle commence « comme un petit garçon, dans le noir, pour se donner du courage, qui s’effraye tout à coup de son propre bruit. » 

Georges Bernanos contre l’homme nu devant ses maîtres

« L’homme d’autrefois ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Il n’eût jamais fait partie de ce bétail que les démocraties ploutocratiques, marxistes ou racistes, nourrissent pour l’usine ou le charnier. Il n’eût jamais appartenu aux troupeaux que nous voyons s’avancer tristement les uns contre les autres, en masses immenses derrière leurs > Lire plus

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.