Contre son gouvernement, doit-on lutter avec les fusils, ou au tribunal ?

« Oui, poursuivit Lee, comme une vague. Mais à qui appartient cette lumière ? Cette montagne ? Cette terre ? Qui possède cette terre ? Réponds à ça, vieux cheval. L’homme qui en a le titre de propriété ? L’homme qui la travaille ? L’homme qui l’a volée en dernier ? »

Un septuagénaire et son petit-fils refusent de céder leur ranch à l’Etat, alors que le gouvernement réquisitionne ferme par ferme toutes les propriétés environnantes afin d’y installer une base de tir de missiles. Combattre l’ennemi extérieur demande un effort national, et chaque paysan, la mort dans l’âme, accepte son sort pour le développement d’une défense nécessaire. Sauf Vogelin, qui lui, n’en a rien à foutre. Ces histoires ne l’intéressent pas : ces terres sont à lui, il y est né, il y mourra.
Dans une nature flamboyante, écrasée par le soleil et la poussière du Nouveau-Mexique, le bras de fer s’impose avec les forces de l’ordre : Vogelin va devoir choisir jusqu’où résister, avec quels moyens, et ce qu’il préférera transmettre à son petit-fils, en vacances avec lui pour l’été, buvant ses actes et paroles jusqu’à la dévotion. Courage obstiné, borné et peu raisonnable de ses convictions, ou raison nimbée de compromis, pour une vie civilisée et citoyenne ? Avec son meilleur ami, le trouble Lee, qui ne cesse de vouloir lui faire entendre raison, le trio s’installe en dissidence, d’abord passive – thème cher à Abbey. Il faut tenir, et par ailleurs continuer à s’occuper des bêtes : elles doivent être entretenues, et dans l’immense domaine crissant de canicule et de serpents, il faut aussi retrouver un cheval fuyard et un puma menaçant. Question de priorités.

Écrit dans les années 1960 par un fou du désert américain (il lui a consacré son ouvrage le plus célèbre, Désert solitaire), écrivain-culte de la contre-culture et du nature writing, et fervent insolent incorruptible, ce roman traduit par Jacques Mailhos est ramassé comme un feu de bois improvisé, allumé au cœur d’une nuit froide mais magnifiquement étoilée. Si l’on doit attendre près de la moitié du récit pour que l’intrigue s’enclenche, c’est pour laisser la place et le temps nécessaire aux cow-boys de se rassembler : loin de toute frénésie, nous prenons un bon café parmi les pierres, à la recherche, d’abord, de leur cheval et du félin. Le reste attendra.

*
Quand le reste se rappellera d’ailleurs à nous, il faudra ne pas oublier notre code, et d’y rester fidèle jusqu’au feu sur la montagne, si plus rien, bien sûr, ne peut nous rattacher à la compagnie des bouffons empaperassés.

*

Si cela vous intéresse, je me suis entretenue avec le traducteur d’Abbey en France, Jacques Mailhos, pour la librairie Une page à écrire à Janville. Rurale, la librairie, bien entendu…

Edward Abbey, Le feu sur la montagne, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos, éditions Gallmeister, Totem, 2020, 256 pages.

Pour poursuivre la route ensemble...
Paul Gadenne, L’Enfer de Sartre – La souffrance morne de l’athée révolté

À vrai dire une seule chose intervient ici pour démentir quelque peu cette impression : la violence avec laquelle ces êtres s’en prennent à leur destin. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, car à vrai dire la révolte ne se justifie que si l’on peut en appeler à quelqu’un. > Lire plus

Les Carnets d’Albert Camus : Exercices solaires

Déguster les trois tomes des Carnets de Camus, c'est affronter les deux faces de son soleil invincible: l'or et le noir, tout au long d'un défilé d'aphorismes et de pensées brillantes, anecdotiques ou hermétiques. C'est également l'émotion de voir vieillir un homme de cœur, ambivalent et évoluant dans toute l'Europe > Lire plus

« Les gens du désert sont plus faciles à guérir » – Bruce Chatwin, Le Chant des pistes

« Dans la foi aborigène, une terre qui n’est pas chantée est une terre morte, puisque, si les chants sont oubliés, la terre elle-même meurt. » « La plus grande partie de l’intérieur de l’Australie n’était que broussailles arides ou désert. Les pluies y tombaient toujours de façon très inégale et une année > Lire plus

James Ellroy, Où je trouve mes idées tordues

"Wambaugh m'a changé pour toujours. Voici comment je le sais: Quand je l'ai lu, ma vie m'a fait honte." "Apprendre, c'est une vraie vacherie. J'ai appris à la dure. Je ne recommande l'expérience à personne. Des circonstances extravagantes m'ont frappé de plein fouet. J'ai cultivé le don et la malédiction > Lire plus

André Breton, les masques et le faisceau colossal de forces instinctives

Dans son bel ouvrage Les Masques, M. Georges Buraud a été le premier à dégager le sens profond du besoin qui, en tous temps et en tous lieux, a porté l’homme à dérober son visage derrière une figure modelée à l’apparence d’un animal, à l’image d’un ancêtre ou conçue comme représentative > Lire plus

« Quelque chose est fini » – Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi

Quand on aime le plus intensément, quelque chose est fini.

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.