Quelques chiffres dans la machine:

J’ai mis 4 jours à lire ce livre, les trois quarts en une journée. Il m’a fallu une semaine pour me décider à écrire dessus. J’ai mis quatre heures, aujourd’hui, à écrire cette chronique. Il vous faudra entre 30 minutes et beaucoup plus pour la lire, suivant que vous suivez les liens ou non. Les autres chiffres qui s’ensuivront ne me concernent plus.

Générique :

« Une langue est un système de signes verbaux grâce auquel les individus peuvent se comprendre sans accord préalable. À l’inverse, une terminologie n’est intelligible que si, au préalable, celui qui écrit ou parle et celui qui lit ou écoute se sont mis individuellement d’accord sur la signification des signes. (…) C’est pourquoi il est plus aisé de traduire des livres de sciences d’une langue à une autre. En réalité, partout dans le monde, ils sont déjà écrits presque intégralement dans la même langue. À tel point que ces livres semblent hermétiques, inintelligibles ou pour le moins très difficiles à comprendre aux hommes qui parlent la langue authentique dans laquelle ils sont en apparence écrits.
– Pour être tout à fait franc, je ne peux que vous donner raison et ajouter que je commence à entrevoir certains mystères de la relation verbale d’homme à homme que je n’avais pas aperçus jusqu’à présent.
– Et à mon tour, j’entrevois en vous une sorte de dernier Abencérage, ultime survivant d’une faune disparue, puisque vous êtes capable, face à un autre homme, de penser que c’est lui qui a raison, et non pas vous. De fait, le problème de la traduction, pour peu que nous l’explorions, nous mène jusqu’aux arcanes les plus secrets du merveilleux phénomène de la parole. »
José Ortega y Gasset, Misère et splendeur de la traduction, entretien avec un anonyme.

 

Half my life
Is books, written pages
Live and learn from fools and
From sages
You know it’s true, oh
All these feelings come back to you
Aerosmith, Dream on

 

Épiménide le Crétois ne devinait point les choses futures, mais celles du passé qui étaient inconnues.
Aristore, Rhétorique.

 

Bien qu’absolument lucide et sain d’esprit, je viens de passer 9 ans interné dans les asiles d’aliénés, et c’est une chose que je ne pardonnerai jamais à cette société de castrats imbéciles et sans pensée, qui depuis X ans qu’elle tourne sa langue dans son giron sale n’a jamais pu à travers je ne sais combien de penseurs, de poètes, de philosophes, de scribes, de rois, de bouddhas, de bonzes, de fétiches, de soviets, de parlements, de dictateurs, n’a jamais su proposer à personne une raison valable d’exister.
Mon corps est à moi, et je ne veux pas qu’on en dispose. Dans mon esprit circulent bien des choses, dans mon corps ne circule rien que moi. C’est tout ce qui me reste de tout ce que j’avais.
Antonin Artaud, Histoire vécue d’Artaud Mômo.

Note : tous les passages en italiques à suivre sont extraits de Traum. Philip K. Dick, le martyr onirique, d’Aurélien Lemant, lui-même citant parfois Philip K. Dick. Je n’ai lu qu’un livre de Philip K. Dick : celui qu’il a fait écrire à Aurélien Lemant.

Une note ratée sur un livre qui ne l’est pas peut lui porter préjudice. Je vais faire de mon mieux, mais il faudra garder en tête que si je suis le prêtre qui, alors que vous rentriez en tremblant demandant baptême, vous a giflé et que vous repartez déçus et douchés, je ne suis qu’un prêtre, vous sécherez, mais votre volonté de baptême peut être exaucée, sans intermédiaire, par le créateur lui-même : laissez-lui alors une chance de racheter mes gifles.
Tout ce qui suit est réel. Les liens hypertexte aussi.

Jour 8. Dimanche 15 novembre 2013.
Je décide de marcher vers Saint-Sulpice et son Là-bas, et pour la première fois de ma vie, en observant les différentes routes à prendre qui s’offrent pour tenter d’y parvenir, je ne me trompe pas de direction. Dans mes oreilles, au moment où je le comprends, la lecture aléatoire de mon appareil à joies déclenche The Plan de Nada Surf et le sourire qui m’anime alors, l’éclat de rire, même, surprend le trottoir qui me fait alors avancer plus vite. Je viens de comprendre comment accoucher de mon monstre de Rêve.

« Soyons-en sûrs, le livre n’est pas un interface, ni support de télécommunication, ni cordon ombilical. Il est un hôte. Un hôte ubiquitaire, métempsychotique, un hôte présent dans plusieurs organismes à la fois : un parasite. Et c’est ce que ce parasite pond en nous, puis ce qui advient de sa ponte, qui m’intéresse ici. » p 8

Le ciel est pauvre, comme le Julien dont je sors de l’église. Humble, odorant et froid comme un pauvre. Il fait tellement froid que tout semble indestructible. Je viens de quitter deux amis, Marie-Hélène et Gérald, sur des confidences indispensables. Sur le chemin du retour, je tripote mon pain béni dans ma poche, comme une preuve de la réalité de ce qui vient de se passer : ma première messe, liturgique et melkite, dans la plus vieille église de Paris, à côté du plus vieil arbre de Paris. Je leur ai expliqué mon sentiment pendant cette messe. Mon angoisse paralysante de ne pas connaître les paroles. De n’avoir peut-être pas le droit d’être là. Les larmes aux yeux d’être entourée d’un ensemble dont je ne fais pas vraiment partie, comprendre la beauté et la puissance mais n’être pas ici. Avec eux, mais pas encore vraiment. Penser surtout au Plan. Elle m’a tendue une bougie, et m’a offert de prier, elle, puisque j’en étais incapable, pour mon grand-père dont j’avais appris la mort par téléphone le jour de mon anniversaire, à quelques pas de là, à quelques mois de là. Nous nous séparons, et je rate de peu l’un des Pères de mon église, Pascal Adam.

Jour 7.
Je rentre épuisée, vidée. Je tourne en rond. Je dis à mon homme qui rentre un peu après moi que je ne sais vraiment pas comment écrire sur Traum. Que j’ai envie d’un truc titanesque mais accessible, crypté, truffé d’hyperliens, qui prendrait des heures à épuiser, que je ne me sens pas à la hauteur, que je ne crois même pas qu’il soit question de hauteur, que mon cœur va exploser, que ce sacrifice ne servira à rien. Je n’ai pas dit à voix haute ces deux dernières propositions. Il me suggère de faire comme Borges, d’expliquer le monstre auquel je pensais, mais de ne pas le créer. Je suis rassurée pour un moment, c’est une excellente idée. Puis j’écoute la trilogie Unforgiven de Metallica, et je n’arrive à me résoudre à abandonner cet enfant illégitime et incestueux. Il faut que je l’accouche, l’adore et le protège du monde malgré ses carences et ses imperfections.

« L’homme qui nous intéresse aujourd’hui écrivit autrefois : « Un jour, je me suis rendu compte que quand on n’est pas courageux, les autres qualités n’ont aucune importance, parce qu’on ne fera pas le nécessaire pour qu’elles s’expriment. (…) J’ai fini par réduire l’ensemble des qualités humaines à une seule : le courage. » », p 7.

La nuit s’annonce, jeune nuit tombée bien tôt. Je bois un mojito avec Marie-Hélène. Je cherche sur son visage la trace de l’âge qu’elle m’indique. Je reste perplexe. Elle porte mon collier, je vois les deux oiseaux s’aboucher au-dessus du miroir. Nous parlons de ces hommes « trous noirs ». Ceux qui ont aspiré de valeureuses âmes, et ont recraché les miracles : ceux qui ont pu s’en extraire par la seule force de leur lucidité. Je lui parle des peaux brisées du métal, elle me dit que je suis fraîche malgré mes cicatrices. Personne ne me l’avait encore jamais dit.

« La réalité est ce qui, quand vous cessez d’y croire, refuse de s’en aller. » p 9

Elle refuse de s’en aller. Je suis à la recherche de mes dernières forces. Ces fusions nucléaires sont éprouvantes, pourtant il me faudra bien de l’énergie, et lui en rendre, pour l’hiver le plus froid depuis cent ans qui s’annonce.
Il est midi quarante. Je les aperçois, Zoé plus brune que la meilleure bière fumée, Marie-Hélène, blonde et qu’on jurerait près d’une perle. Je me dis que j’aurais du donner à mes cheveux le feu qu’ils réclament depuis toujours, pour la beauté de cet ensemble de drôles de dames. On ne peut pas penser à tout. J’ai beaucoup de choses à leur dire. Je dois leur dire, alors qu’il m’a toujours été impossible de le formuler par ma bouche, par mes cordes sensibles, qu’elles sont les deux faces d’une même pièce qui m’appartient. Que je vole cette formule à Aurélien. Qui est Aurélien ? Oh, l’auteur de Traum. Qu’est-ce que c’est comme livre ? Je ne sais pas. Je vais essayer d’écrire pour mieux tenter de le comprendre moi-même. Cela parle de Philip K. Dick, c’est entendu. C’est une défense du rêve. C’est une merveille, mais parce que nous parlons le même langage des oiseaux. Est-ce que vous parlerez le même ? Je ne sais pas. Le lirez-vous ? Je vous l’offrirai. Elles acquiescent.
Et lui, alors Aurélien ? Oh, lui. Vous vous rappelez du webzine Sur le Ring ? Je l’avais repéré là-bas. Mais jamais donné suite. Et puis suite à quoi ? Nous, nous étions obligatoirement de la bande rivale, puisque quiconque parlait avec le Stalker en était la fiancée, consentie ou non. C’était le bordel, disons-le. Des personnes m’attiraient irrémédiablement dans la bande adverse, mais je n’avais pas le droit de traverser. « C’est vrai, répond Zoé, c’était un peu les Jets and Sharks de West Side Story », et cela paraît si loin. Ce fut si vif et violent, pourtant. Mais si peu chantaient juste, finalement, dans ces deux bandes. Réunies autour de deux trous noirs. Des hommes trous noirs. D’un magnétisme époustouflant et dont il est difficile d’admettre qu’ils n’ont pas joué chacun dans leur partition une musique irrésistible. Puis le charme fut rompu, et nos existences reprirent. Quelques galaxies cannibales s’entredévorèrent et de leur belle mort naquit un grand rien. Furent recrachés plusieurs élus, parmi lesquels j’ai l’extrême précaution de me compter. Je n’ai jamais été d’aucun sérail, je ne peux jamais y rester bien longtemps, la route, de nouveau, m’appelait.

Dantec en France, 2012. Je me décide, prenant mon courage à deux mains, à aller aux Cosaques, qui organisent l’unique soirée. Je n’avais jamais rencontré cet autre Père de mon église, et, il faut bien le dire, j’aimais aussi assez l’idée que ce ne serait jamais le cas. Lui foutre une paix royale, je ne voyais pas de plus beau cadeau à lui faire. Je me suis toutefois parjurée et j’ai pu rencontrer surtout Mathieu Bollon et l’éditeur de Traum, brièvement. Je lui ai promis de lire Traum, sans trop y croire, car je ne connaissais pas Philip K. Dick, et que j’avais beaucoup d’autres choses en tête. Mais ma parole était donnée.

« Enchantement du spectateur au terme du film, délice de la voix off du pré-générique, étonnée d’elle-même : « Un an s’est écoulé. » J’ai plusieurs fois gagné quelques années de vie dans mon sommeil, on ne me les reprendra pas. » p 15.

Je ne sais plus sous quelle impulsion, mon esprit aimant à brouiller les sources qui pourraient m’éclairer, j’ai enfin décidé d’acquérir Traum. Un jour, il y a dix jours, il y a mille ans, puisque tout a changé depuis dans ma toile de fond, j’ai vu par rétrocognition ou coïncidence (me revient immédiatement à l’écriture de ce mot une phrase du film Cartel : « Le cartel ne croit pas aux coïncidences, ils savent que cela existe, mais ils n’en ont jamais vues », passons) punaisé sur le mur du réseau social virtuel d’Aurélien Lemant, une chanson : The Plan. Tout a implosé. J’étais dans la cuisine, en train de faire cuire une courge butternut (non, cet italique-ci n’est pas tiré du livre, non), j’avais ma tablette tactile à côté de moi et Nada Surf, surgi du fond de mes siècles, grâce à ce rescapé de la bande adverse jamais abordé bien que souvent envisagé, pour ce qu’il représentait encore alors. The Plan et moi, c’est sacré. Lui seul avait compris la signification profonde de cette chanson.
Je me suis emparée de son livre. Je me suis emparée de l’auteur, lui demandant toutefois après quelques échanges rapides, la possibilité de le lire en entier avant de lui écrire de nouveau. J’avais emprunté l’allée en contresens, mélangeant déjà l’auteur et sa création, je ne savais plus trop bien à qui je m’adressais. Ce qu’il m’accorda, puisqu’après tout, ce n’était pas son problème à lui.

Mes amies conçoivent que c’est une chouette histoire, cette reconnaissance sur la carte. Reconnaissent à leur tour leurs affinités électives, le rôle joué tout au long d’une interminable vie par les âmes tutélaires et les gémellités intellectuelles. J’ai presque soudain honte de me présenter en gémellité avec cet auteur, qu’ai-je produit, moi, qui puisse contenir un monde dont je serais la démiurge, qui avais-je donc appelé dans mon univers, pour me suivre hors de la Ville ?
Il est temps de quitter le restaurant pour aller visiter d’autres amis du livre. Je laisse donc mon histoire en suspension.

Jour 6.
Nous prenons un cours de 2h30 en biérologie, plus spécifiquement en « accord bières et fromages ».  10 à table, dans le Marais. La seule experte en France, et elles sont 10 dans le monde. Hildegarde de Bingen a été la première grande dame de la bière, apprenons-le, et historiquement, les femmes faisaient le pain et la bière, la boisson la plus ancienne du monde avec le lait. Raison pour laquelle les moines, plus tard, fabriqueront souvent ensemble le fromage et la bière dans leurs abbayes. Le lien entre ces deux « aliments », aujourd’hui bien méconnu voire méprisé, nous vient donc de ce cher passé qui toujours nous reprend. Nous avons goûté, peu recraché, beaucoup appris. Je me couche ravie  et j’écoute avant le sommeil We Can’t Be Beat, des Walkmen. Je pense que demain, je vais offrir à deux de mes plus chères amies un objet qui m’appartient, d’une valeur sentimentale, que je serais heureuse de savoir en leur foyer, comme un peu de moi auprès d’elles. Je réfléchis déjà à ce que ce sera : un collier acheté à Londres, une de mes villes favorites, pour Marie-Hélène, un tirage original d’une série de photos, la seule à ce jour, faites de moi par un ami photographe, Manuel Abella, en 2004, sur laquelle mon visage est flouté, et je suis comme en mouvement. Narcisse assumé. Zoé saura très bien pourquoi je lui offre cela. Je ne tiens plus en place, immobile, car je vais pouvoir leur dire que je les aime, grâce à Traum.

« La schizophrénie commence avec l’hypocrisie, il serait avisé de bien vouloir s’en rendre compte. » p 26.

Sur le quai de mon train matinal, le froid me mord mais je joue avec lui, et refuse de rentrer sous la guérite de verre qui me protégerait. Je relis quelques lignes de Traum, j’essaye de trouver comment rendre hommage à sa structure feinte, comme inexistante. J’essaye de distinguer ce qui a une valeur pour moi de ce qui a une valeur pour les siècles. Je décide de ne pas répondre à la question. Je reçois dans le même moment un message rapide de l’auteur. Qui s’excuse presque de ne pouvoir me répondre. Il ne faut pas. J’ai tout mon temps maintenant.

« Nous adoptons les mots sans en connaître le sens, conséquence d’une longue prescription d’ignorance. » p 27.

Jour 5.
Je me renseigne sur la disponibilité des Clans de la Lune alphane, de Philip K. Dick. Je suis séduite par les quelques très éclairantes pages que j’ai relues, dans lesquels l’auteur Lemant explique cette colonie constituée de sept micro-sociétés (un chiffre tatoué dans mon dos, sur lequel un ange lit tranquillement un livre, mais lequel ? fait à 20 ans sans plus me rappeler pourquoi), représentant chacune une pathologie mentale dans laquelle les habitants vont spontanément se reconnaître. Je suis absolument persuadée à présent que des clés, des gâteaux, des potions et des miroirs se trouvent aussi dans ce livre afin de toujours, inlassablement, continuer à me surprendre par les transformations qu’ils opèrent sur moi tout en me laissant profondément, fondamentalement dans le sens strict du terme, inchangée mais confirmée.

« De Poe à Carroll, légion en littérature sont les récits au sein desquels le contrôle de l’hospice tombe aux mains des malades, au point d’entraîner le narrateur comme son lecteur à n’être plus tout à fait certains de différencier les internes des internés, les fous de leurs gardes-chiourmes, la démence de ceux qui l’enferment. (…) Bien sûr, mille fois bien sûr, le renversement des hiérarchies entre sains d’esprit probables et supposés fous ne démontre jamais qui est le plus apte à administrer ce monde de tarés qui est le nôtre. Une pyramide à l’envers, sous ses airs de diamant monté sur bague, reste une pyramide. Et un million de fois bien sûr, c’est à l’examen de la civilisation que nous invitent ces auteurs, utilisant l’hôpital, la prison ou l’asile comme parabole pour nous raconter, nous. » p 49

Jour 4.
J’écris une deuxième lettre à l’auteur. Je lui envoie aussi un texte que j’avais écrit sur mon neveu, il y a deux ou trois ans. Je lui parle océan, même si j’aurais pu, pour être encore plus précise, employer l’expression si chère à Pierre Hadot de « sentiment océanique », que lui-même tenait de Romain Rolland, qui avait correspondu avec Freud pour lui expliquer sa vision instinctive, complète, musicale du monde, à quoi Freud avait répondu par un froid « Je n’entends rien à la musique ». Ceci expliquant cela. J’essaye de lui expliquer que lorsque nous entendons quelque chose à la musique, la psychanalyse ne peut rien pour nous, seulement le cœur, l’art, et la rencontre. Multiplied by seven again. Avant qu’il la lise je lui avoue avoir peut-être un projet de mon côté mais que rien que de le résumer avait tellement l’air pourri que je ne trouvais la force de m’y mettre. Il m’a simplement répondu que j’allais écrire des « personnages comme des maisons hantées ». Cela avait l’air d’un compliment. Je saurai m’en souvenir.
Un peu avant dans l’après-midi, il m’avait touché quelques mots de sa vie. Celle-ci. Communément admise comme réelle, ne commencez pas, hein. Me disant qu’il préférait toutefois parler de ce qu’il pensait et non de ce qu’il faisait. Une phrase qui m’a beaucoup émue, et ne cesse de résonner encore. « Lorsque les deux correspondent, alors c’est dans l’ordre des choses. » Fidèle acharnée de l’incarnation, n’excluant aucunement, et comment ! la matière, du moins tentais-je encore de le croire, et ne voyant pas le souci pour autant de frayer dans toute autre dimension qui me serait offerte, je ne pus qu’abonder. Je ne crois pas le trahir en relatant ces propos, tout est déjà dans son livre.

« Enfant, je me donnais le vertige à force de ne pas croire en mon existence. » p 33. Par exemple.

Je crois lui avoir répondu qu’il pouvait être fier de ce qu’il faisait. Vu d’ici, cela semblait se tenir. Je peux me tromper. Après tout, cela ne fait que trois jours que nous nous « parlons », et partiellement. Suivez, un peu.

Jour 3.

« Il n’y a pas lieu de paniquer : un homme venu il y a fort longtemps avait compris et prouvé que l’on pouvait être soi-même chez le mendiant comme chez l’encravaté. Qu’on pouvait être chez soi avec l’un comme avec l’autre. Nous ne devrions pas nous garder par avance de toute rencontre. » p 53

Je fais assoir mon homme et lui demande de m’écouter jusqu’au bout. Je viens de terminer un bouquin qui me hante, qui pousse en moi le parasite dont il prévenait, qui correspond trop bien à trop de choses, que quelque chose a bougé sur le côté. Il y a une créature dans la cave, peux-tu s’il te plaît descendre vérifier pour moi car j’ai un peu peur d’y aller. Il me promet de lire le livre. Je lui dis que j’ai écrit à son auteur, qu’il m’a répondu aujourd’hui et que je ne veux pas que cela soit secret, gênant, honteux, coupable, mais au contraire joyeux puisque lui et moi, « frères endeuillés », avons toujours cru être seuls dans le Plan et nous trouvons au moins à deux. Que je lui en prédis bien d’autres, maintenant qu’il a fait ça, ce livre qui pousse sur certaines terres et pas d’autres. Que bientôt, les semences vont se montrer, qu’il va falloir les accueillir, toutes. Qu’en attendant, j’ai besoin de lui écrire pour dénouer le mystère de cette correspondance intellectuelle. Lui écrire littéralement. Il s’agit de ne se garder d’aucune rencontre, et d’adopter des mots en en connaissant le sens. Je lui dis que je ne sais pas assez dire aux gens que je les aime, que je pense notamment à Marie-Hélène, à qui je ne réponds jamais assez, jamais assez bien, comment lui dire qu’elle est aussi ma sœur réconciliée ? Il me répond qu’en aucun cas je dois me taire, qu’il faut que ce week-end, je le lui dise.
Dans la matinée, j’ai reçu la réponse à ma lettre. Etait-ce la veille ? C’est un peu confus, des siècles se sont écoulés. Pardonnez que je me trompe d’année. Il me dit que j’ai lu à contresens, cela avait l’air d’un compliment. Je saurai m’en souvenir.

Jour 2.

« Pike l’a bien cerné en écrivant : « Chaque individu serait particulièrement doué pour recevoir de l’ordinateur collectif ce qu’il a lui –même fourni. » C’est-à-dire que nos oracles tendent à ne devenir que les confirmations, en boucles, de nos propres certificats d’autorité, un retour à l’envoyeur perpétuel. (…) Il faut bien entendu distinguer ce que nous cherchons, de la vérité elle-même. » p 95

Soir. J’envoie toutefois cette lettre.

Jour. Je réécoute en boucle l’album High/Low de Nada Surf. J’ai une histoire particulière que je n’ai racontée en détail à personne, avec cet album. Peut-être que lui pourrait l’entendre ? Mais de quel droit l’accaparer, qu’ai-je à lui offrir, moi pauvre qui n’ai rien que rêves ? Qui ne veut pas fermer les yeux, de peur de rater quelque chose ? Pourquoi le charger de mes mots stupides, comment rendre au monde ce qu’il vient de me donner, avec la lecture de ce livre, puisqu’il m’a donné un frère ? Je n’ai même pas lu de Philip K. Dick, mais bien sûr que je veux en lire, tout, vite, tout de suite. Ce n’est pas une simple introduction à l’auteur américain que Lemant nous offre ici, même si c’est, à cet effet, redoutablement efficace. C’est une introduction à nous-mêmes, une présentation en douceur, une porte ouverte amicalement et sans violence sur quelques rais de lumière des pièces que l’on n’osait pas imaginer se trouver dans ces murs-là. Tout en espérant, enfant, qu’elles s’y trouvent bien. Se rappeler enfin qu’on y croyait. Retrouver l’enfant, mais l’enfant fiévreux, terrible, entier, souffrant. L’enfant qui commence à perdre ses souvenirs d’avant sa venue au monde, et s’efforce de les retenir pour y revenir plus tard, comme on peine à rattraper au vol un rêve qui contient toutes les réponses mais que le réveil efface impitoyablement. Lemant a presque retrouvé le cri primal, à remonter dans ses veines jusqu’au cœur le plus pur possible. Bien qu’il faille se méfier du diamant, comme je le dirai cinq jours plus tard à mes amis Marie-Hélène et Gérald, puisque bien que symbole de lumière et offert à l’amour, inestimable s’il est sans imperfections, les conditions de son extractions produisent les épicentres les plus infernaux de la planète Terre. Tout ce qui a une valeur a un prix. Un cœur pur de diamant, pour briller, doit avoir fait couler beaucoup de sang. On peut toutefois conserver le diamant trouvé, et offert, mais s’il est déjà taillé, on se doit de garder également en mémoire les amputés du Sierra Leone. Voilà pourquoi j’ai coutume de penser que si la pureté existe, elle s’accompagne de son double souillé, ainsi que tout champignon mortel a dans la Nature son double parfait, parfaitement inoffensif. Savoir lequel croquer, et quand, suivant la taille de la pièce indique notre taux d’adaptation à la vie moderne, lorsque l’on rêve beaucoup.

Jour 1.
Je viens de terminer Traum d’Aurélien Lemant, duquel je ne sais pas grand-chose sauf ceci, tiré de sa page 41-42 :

« Durant son discours, l’écrivain américain confie son expérience spirituelle à son auditoire et avoue très prudemment, sûr comme à son habitude qu’on ne le croira pas et qu’on ne croira pas même qu’il y croit : « Certaines personnes affirment se souvenir de vies antérieures, j’affirme me souvenir d’une autre vie présente, très différente. Je n’ai pas connaissance de quiconque ayant affirmé cela auparavant, mais j’aurais tendance à soupçonner que mon expérience n’est pas unique. Ce qui peut-être est unique est le fait que je veuille en parler. » »

Les premières pages m’ont désorientée, donné du fil à retordre. Je trouvais qu’il y avait beaucoup trop de mots compliqués, me venait « antalgique », à la fin de certaines pages. Puis soudain, un flash. Bring it on. J’avais passé ma main dans le feu, et j’accédais au niveau supérieur. Only the strong survive.

J’ai tout avalé des gâteaux et des champignons, des potions et des clés. Puis la fin. Et mon très cher lapin pour me susurrer : Wake up Donnie. En romain : debout, pas couché.

Epilogue / Prologue : Et maintenant ? Maintenant quoi ? Je n’abîme/frustre/dépare (le mot anglais « spoil » est à ce point surprenant) jamais un livre, encore moins une vie. Demain me répondra. Traum vous répondra.

 

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