Chronique Erreur 404, publiée le 22 octobre 2017 sur Profession-Spectacle

Lundi

Un de mes amis revient de la foire du livre à Francfort, où tous les ans se regroupent les éditeurs de chaque pays désirant repérer les ouvrages étrangers à faire traduire chez eux. Il me dit que les deux grandes tendances qui se dégagent nettement sont « le Jihad et le well being ».

René Girard, surnommé « l’Albert Einstein des sciences de l’homme » pour son ouvrage La violence et le sacré, vous dirait qu’on peut bien tenter de changer les termes… nous reviendrons toujours aux sources.

Le terroriste et le yogi sont devenus les deux faces de la même pièce de notre temps, le crime et son absence de jugement, la violence pour Dieu contre le sacré du soi, impénétrable.

Je juge ton crime en me soignant, semble nous dire la production intellectuelle actuelle.

Il ne faut jamais désespérer d’une civilisation qui cherche à se soigner. Cela signifie que le diagnostic de maladie a été accepté.

Mardi

Je ne désespère pas non plus de la soi-disant mort du livre. Chaque politicien, religieux, juriste, journaliste, coach, médecin qui se pique d’impacter directement nos existences s’appuie toujours sur les livres. Un expert ne le sera que s’il a publié. Les grands sportifs publient. Les musiciens publient. Les tueurs publient. Nous pouvons déplorer constamment l’avalanche de publications annuelles dont, en effet, les neuf dixièmes ne devraient jamais voir le jour, mais enfin, nous n’avons jamais autant eu le choix de savoir, de connaître, d’apprendre, de nous enrichir, de nous extraire de la condition dans laquelle la donne de départ nous aura placés. La profusion n’effraie que ceux qui ne sont pas assez ancrés dans le sol et pourraient se dissoudre dans le chaos de ce déferlement : les autres, jour après jour, supportent, trient et jettent. Voilà aussi pourquoi nous devons nous soigner : pour résister plus longtemps au terrorisme quotidien des Cassandre du livre, et de leurs surproductions malades.

Mercredi

Comme le disait Kamel Daoud, dont je n’ai pas lu les livres pour le moment, dans un entretien récent : il n’y a pas de fake news, il n’y a que des fake lecteurs. On ne peut pas mieux dire. Personne ne peut discerner à notre place, et c’est bien en s’exerçant quotidiennement à ce discernement, en s’aidant des chemins frayés par les meilleurs, qu’on y parvient. Avec difficulté, et beaucoup de rechutes.

Le livre n’est pas mort, c’est notre foi en lui qui l’est. Il n’y est pour rien si nous sommes fatigués : on peut laisser la place.

Jeudi

Spectaculaire effet de masse, de nouveau observé : le lynchage collectif auquel s’est adonnée récemment la foule sur les réseaux sociaux. Vous ne savez plus de quel lynchage je parle ? Moi non plus.

Lire un livre est l’anti-phénomène de masse. Pascal Quignard, dans sa Barque silencieuse, mentionnait l’effet de monde dans le dos, alors qu’on fait face au coin du livre ouvert. C’est un bénéfice prodigieux de pouvoir mettre tous ces hystériques derrière soi, tous autant qu’ils sont, quand ils se découvrent tous les jours une nouvelle humanité qu’ils oublient le lendemain, rythmés par cette soif inextinguible de savoir enfin quelque chose, de retenir une seule pensée solide qui ferait sens. Nous ne pouvons pas regarder ces agitations sans ressentir une profonde pitié pour le genre humain. Pitié qui se transformera en terrorisme ou well being.

Vendredi

Je voulais me passer des disques ce matin, mais mon enfant dormait. J’ai alors ouvert en deux cinq livres amis de toujours, afin de voir si cette violence gratuite conduisait au sacré.

Maria Zambrano – L’Inspiration continue, qui me dit alors : « Un livre, tant qu’on ne le lit pas, est seulement un être en puissance, tout autant en puissance qu’une bombe qui n’a pas explosé. Et chaque livre doit avoir quelque chose d’une bombe, d’un événement qui en se produisant menace et met en évidence, bien que ce soit seulement par son tremblement, une fausseté. »

Carlo Ossola – En pure perte, me cite Pierre-Jean Jouve : « Nous n’avons plus de mesures pour prendre la taille de tels hommes. Nos êtres sont devenus trop petits et un trop grand malheur social nous accable. Je vois dans Mozart une modernité de la musique ancienne. Par la douleur et la dureté, par la tendance au surhumain, il apporte ce vers qui soupire, en nous, l’âme la meilleure et la moins effondrée. »

Dag Hammarskjöld – Jalons, me souffle : « Le silence est l’espace qui enveloppe toute vie en commun. L’amitié se passe de paroles – elle est la solitude délivrée de l’angoisse de la solitude. »

Imre Kertész – Journal de galère, essaye un : « Qu’est-ce que la vérité ? La réponse est si facile ! La vérité est ce qui nous consume. »

Elias Canetti – Le territoire de l’homme, complète : « On n’est jamais suffisamment triste pour faire que ce monde soit meilleur. On a trop vite faim de nouveau. »

Ces disques-là, « to be played at maximum volume », n’ont pas terminé de réveiller tout le monde.

D’ailleurs, une journée m’attend, « jihad et well being », mes amis. « Jihad et well being ». Si c’est ce que nous sommes devenus, si c’est notre lot, il faudra bien vivre chaque journée en ne l’oubliant jamais.

 

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