On n’a pas grand-chose ici, mais du ciel, pour cela, on n’en manque pas. Et je crois bien que quoi que je fasse, qui que je porte, où que je transpire, quelle que soit l’eau qui tombe ou les glaires qui prennent, je le vois toujours pareil, violacé, peureux d’être si grand, incapable de se déplacer sans qu’on le pousse, qu’on l’accidente d’oiseaux vivants, ce ciel qui me regarde depuis les bords, qui attrape mon petit sur la route, qui voudrait l’effacer en tombant dessus de toutes ses couleurs de pneu brûlé mais n’arrive pas à le freiner dans sa course. Ses petites joues mouillées, frappées de nature surprise, ses mains lisses et pleines de froid, il court parce que devant lui c’est vide, long, lent et tout prêt de se refermer. Il court parce qu’il me fait confiance, que je lui ai dit d’y aller.

Cette petite boule vive qui s’enrobe sans crainte de nuit, la force de mon fils.

On m’avait dit, pas de paix pour celle qui regarde à travers la vitre sans y aller, pas d’exercice d’évacuation avant la grande infection. Si tu retournes tes paumes et que tu commences à voir des signes au lieu des traits, tu peux pas renoncer, tu dois rester, enfanter et masquer ton mouvement aux immobiles. Si ton ventre enfle et bouge, c’est pas la bête qui s’avance pour te finir, c’est une autre peur vive, qui se débattra pour sortir. La peur des bagnoles dans les arbres, la peur des immeubles de mer qui mangent les côtes, avalent la dune et refusent de se replier quand bien même tout serait pourri, démantelé, mélangé.

L’absurde terreur de la mort de mon fils.

Tu es jeune mère, rayon roux dans les cheveux et pieds nus dans les fleurs, la robe légère sur tes hanches parfaites, tes seins alourdis. Le halo est poudré, le sourire souverain. Chimère terminale, l’image te tient, tu la rattrapes le soir quand tu manques tomber. Il faudrait au moins se réjouir, dans la sécheresse du sommeil confisqué, l’œil fou et renfoncé, la peau molle et les tendons usés, balafres sous le nombril, craquements secs sur une nudité qui n’a plus rien de radieux, que tu engouffres dans les étoffes grossières tellement tu es laide mais non, non, il y a pire. Il y a les bagnoles dans les arbres, les enfants coupés dans les portières, les étouffés dans la pâte, les morts subites qui s’impatientent. Les serpents ont pourtant fait de la place, ils ont accepté le pacte. Ils n’ont pas touché à ton fils. Tu vas pas te réjouir, parce que c’est plus roi que cela, c’est roi puissant sans entraves, roi des sauvages dans un pays sans vie, il se dresse devant toi et t’a anéantie pour sortir. Tu ramasses en te coupant les lamelles d’or de ton armure. Il court devant toi, solide, voleur. Il t’a tout emporté et tu entends du bruit. Dépouillée, démise. Tu entends du bruit.

Ils ont respecté le pacte. Ils n’ont pas touché à mon fils. Ils reviennent pour me prendre.

Pour poursuivre la route ensemble...
Soulever les tombes – Edgar Lee Masters, Des voix sous les pierres

Ces traits tantôt fulgurants et mystiques, tantôt pragmatiques et cocasses, fiers et farouches, désespérés ou résignés, montent des pierres chaudes en une brume bruissant des ruminations de ces gentils fantômes stupéfaits de leur sort.

La Réaction

Ce que je constate sur ma route, que j’ai donc prise très jeune la mort dans l’âme comprenant bien que je ne trouverais aucun répit immobile, c’est la multitude de bourgs que j’ai déjà traversés, sans éprouver la nécessité d’y séjourner plus longtemps.

De guerre crasse – Ambrose Bierce, Histoires macabres et flegmatiques de la Guerre de Sécession

En ces pages, surnaturellement ou non, tous seront frappés. Tous mourront. Et les témoins en conserveront longtemps une fable stridente qui débordera, et de loin, la seule littérature de genre. 

Béla Tarr. Mes harmonies, les vôtres

Quand le brouhaha  s’est apaisé, le prince  a dit : ce que vous construisez et ce que vous construirez, ce que vous faites et de que vous ferez, tout n’est que déception et mensonge. Ce que vous pensez et ce que vous penserez est ridicule. Vous pensez car vous avez peur. > Lire plus

Le réel entre nous, uniquement le réel

Alors je te sens revenir me chercher, réclamer ta place et la défendre. Tu les assommes tous d’une attention rapide, sauvage, la seule que tu pourras et que je bois avidement comme une eau désinfectée au milieu du cloaque.

Effarouchement

Tu peux sonner la charge. Je tiendrai. Il n’y a qu’ici que plus rien n’est tenté contre tout ce que je peux, dehors.

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.