Transe-fiction : ici toute ressemblance est voulue, mais rien n’est vrai, et tout se tient, mais sans doute demain.

J’attendais que tu frappes dans ma poitrine tout ce que tu ne serais jamais. J’attendais que tu forges avec tes douceurs d’un autre siècle, lequel, ce siècle interne qui fond sur nos résistances lorsque nous sommes ensemble, l’enclume première qui recevrait les éclats de mon crâne. Tu aurais dû me terminer, fracasser mes os, broyer mes artères principales, empêcher que rien ne puisse plus tenir. Rien qu’avec ton corps mou et sans aplomb, le corps d’un travailleur père dévoué qui ne pense pas à s’exercer. Ton corps présent, s’excusant d’être imparfait. Je l’aime pour aimer à travers toi tous ceux qui devraient cesser de raser les murs. Comprends-tu ? J’ai plus d’amour pour toi que ton seul être n’en réclame. Cela peut partir, voler, écraser les autres. Ils n’en savent rien mais je les aime comme toi.

Vas-tu, comme la femme de Tolstoï, fouiller mes carnets et découvrir, miné jusqu’à ta dernière tolérance, que je me supprime souvent pour ne pas tous les toucher ? Que mes amours se poursuivent, me malmènent, s’invitent partout où je suis seule ? Et qu’en feras-tu, de cette révélation ? Tu la tairas pour ne pas effrayer les petits ?

Je pose mon bâton devant ce grand mur blanc, oui, je tremble, je ne sais pas ce que je veux faire, je frappe et demande d’ouvrir le passage pour mes mots et je prends le risque que rien ne se produise. Je me présente face à ce mur. Je passe mon temps à me présenter.

Et puis il y a autre chose. Tu ne t’occupes de moi qu’en dernière extrêmité, quand tu sens que le regard que j’ai tiré sans préméditation va trop loin derrière toi se ficher dans le bois sec et s’y tenir appuyé pour garder tête haute, que lorsque je ne souris plus, mon visage trop lisse invite la mort. Alors je te sens revenir me chercher, réclamer ta place et la défendre. Tu les assommes tous d’une attention rapide, sauvage, la seule que tu pourras et que je bois avidement comme une eau désinfectée au milieu du cloaque. Ils se tiennent sagement, personne n’attaque. Ils sont tous beaux à mourir, il faudrait les manger. Ils sont tous fiers et tendres, ils me tiennent sagement, ils connaissent la puissance, sont joueurs, malheureux, dignes et mutins.

Je les aime et les ans n’y font rien. Les ans remplis d’autres joies que les tiennes, d’autres bras que les tiens, d’autres avenirs radieux fauchés par la déroute.

Je n’ai cessé de t’aimer en même temps que les autres, qu’est-ce que cela veut dire, ce n’est pas croyable, ce n’est pas autorisé, je ne sais même pas ce que c’est. Mais c’est. Le large se présente, je regarde dans ses yeux. J’entends son souffle, je reprends. Je savoure un amour invaincu, le laisse venir, refuse d’y finir, le ferai durer. Je les aime aussi et tu le sais.

J’ai un enfant prodige, qu’un autre m’a soufflé dans l’oreille. Je n’ai pas fait la fille qui lui manquait, j’ai eu le fils qui me revenait. Mon corps semble l’avoir fabriqué pour que la voie se prononce, que le chaos se modèle, que les églises se ferment, décidément froides à m’accueillir et folles d’imaginer que je m’agenouillerais devant elles. Pas devant elles.

Mes êtres de feu, je me perds en vous. Mon empereur de bonté, Rédacteur métaphysique, je me noie dans tes signes. Comment comprendre, absorber, rejaillir ce que tu attends de moi ? Je pense encore avoir entre les mains un fusil dont je ne sais pas me servir. Je sens confusément que je pourrais écrire, quelque chose qui frappe, qui compte, qui aide, mais qu’en place de ce sidérant massacre que j’aimerais commettre, mes coups m’échappent, qu’ils s’éclatent sur les murs en fâcheux éclats dans le plâtre qu’il faudra reboucher demain. Ni plus ni moins.

C’est qu’il y a tellement d’abandons de panier, de fichiers manquants, de ressources déplacées. Comment, de glace, affronter ces improbables refus, ces places dont le vide crie, se débat, nous déplace ?

Je n’ai pas de réponse, que ma tête baissée vers les affronts, les prendre tous, les prendre tous, les prendre tous. Echouer. La corde s’enroule sur ma cheville et le piano m’entraîne vers les fonds, je sais, c’est encore une autre qui trempée affronte les océans à ma place. Faudra-t-il voler notre connaissance des failles dans l’œil de cette femme mutique ? Qu’avons-nous pour nous seuls ?

C’est drôle, ce qu’on pouvait. Ce qu’on déplaçait. Les distances abolies, les berceuses. On chantait au bébé des autres des termes palpitants et on rentrait dans la nuit froide se promettre des fins que personne ne tiendrait. À quoi cela tient.

C’est encore teinté de tout. C’est brûlant et creusé, une place réservée, périmètre bouclé. Ta place, peut-être en creux toute l’existence durant, mais ta place.

Je passe toutes mes minutes pleines, dégagées des contraintes, à tenter de comprendre ce que tu vis, comment tu marches, pourquoi tu pleures quand je ne regarde pas.

Le mauvais rôle ? Non, mais tu sais bien. Ce qu’il faudrait crier à la face du monde, cette bombe à clous qui amputera les autres. Ce dont on s’empêche pour ne blesser personne, mais à la dernière station blesser tout le monde par son silence, ah oui elle parle, elle parle, alors pourquoi pas pour moi, pourquoi pas de mon cœur chaud entre ses mains, pourquoi pas de notre union qui fut aussi réelle que les autres, et pourquoi moins importante ? De quel droit ? Je plante mon drapeau sur ces terres sauvages miraculées, il m’en restait un lopin, pourquoi ne pas le chanter ?

Je sais. Calme-toi.

Je vais chanter.

Assieds-toi.

« Je ne serai pas commandée. Je ne serai pas contrôlée. Je ne laisserai pas l’avenir se produire sans l’aide de mon âme. »

Mais…

Calme-toi. Je t’aime. Je sais que cela ne suffit pas. Remets-toi.

***

Mature, tu sais.


— Quoi ? Quand tu souffles un mot hors de toute la masse qui te tient dedans, je ne suis pas certain de suivre.


— Mature, est-ce qu’on devient bon ou mature ? Je ne fais plus d’esclandre, je ne quitte plus, je ne touche plus, je ne dis même plus rien à personne, en fait. Est-ce que c’est bon, est-ce que je grandis en protégeant un autre ? Les autres ?


— Tu leur ferais quoi, si tu étais plus jeune ?


— Je les enduirais de mots jusqu’à ce qu’ils succombent. Je les attraperais parce que c’est possible. Pour que cela reste possible. Je les digèrerais d’abord à distance, dans mon suc puissant parce qu’il est pur. Parce que je suis capable d’aimer violemment, pour de bon, un nombre incalculable de fois. Lorsqu’à demi fondus, tombés de leurs chairs, ils me regarderaient le pantalon tendu et les joues humides, je m’ouvrirais une fois et une fois seule. Je n’aime pas la répétition du sexe. Une seule fois, mais qu’elle brûle. Manger une fois, pour un mois, un an. Ne prélever que les forces nécessaires pour tenir.


— N’en choisir qu’un.


— Un, mais quel un ! Un qui peut prendre toute la pièce et disparaître à l’instant où cela semble nécessaire. Un qui trime, qui se farde. Qui te connait pas, mais qui reste à côté, prudent, patient. Qui croit en ta légende, attend le moment où tu transformes en or. Attend longtemps et puis oublie ce qu’il attendait. Que tu crois revenu bredouille de son chemin en toi et qui un beau jour, te sourit, ouvre ses mains et montre la ferraille avant d’entamer un fou-rire, le bras autour de ton cou. Bah, pas d’or, alors. Mais un joli petit tas de trucs qui brillent quand même, et qu’il ne dira à personne qu’il a trouvé. Déterrements d’enfance. Puérilité des échanges, babils de régression, les bras autour du cou. Lui seul, mais oui, un parce que ce n’est pas permis de tous les prendre.


— Et aimer tous les autres, quand même.


— Leur chanter des chansons, s’élever dans leurs statues, grimper sur leurs épaules, ébouriffer leurs armes. Tout laisser en place, comme on a trouvé. Dévorer ce qu’ils donnent, sans même savoir ce qu’ils font. Laisser entendre qu’ils sont portés, qu’on les regarde, qu’on n’oublie rien, qu’on entretient les tombes et les vies parallèles. Qu’ils sont dans mon histoire, un morceau par ici.


***

On rase les murs qui nous importent. On ne relève pas tout, on reste près des portes. Vous étiez dans l’encadrement, peut-être reviendrez-vous. On rase les murs parce qu’ils sont propres, on n’y est plus proches des odeurs véritables que sur leurs places insanes. On voudrait graver dans la pierre ce qui n’est pas encore étrange.

Qui nous remercie ? D’où viennent les coups ? Rien n’a cette importance qui tuméfie les chairs. Nous nous tenons, et personne ne nous arrête. Dieu qu’ils sont harnachés de mort, dieu qu’ils sont passés sans barque, frayant notre sang à la seule force de leurs bras en cuir. Nous ne pouvons pas dire que l’épouvante n’a pas ravagé nos circuits.

Écrire devait tous les retenir.

Il faudrait que cela soit vrai.

Que je t’aime suffise.

Que je t’aime permette.

Que je t’aime flamboie.

Que je t’aime triomphe.

Que je t’aime percute le dernier arbre mort, l’embrase et terrifie la lande de mes transes résignées.

Mais je vais rentrer. Le réel entre nous, uniquement le réel.
Et le sourire absent quand tous parlent. Je suis tellement dissimulée derrière cette grande bouche qui a appris à sourire dans les supermarchés froids, contre les faces laiteuses qui n’en revenaient pas.

J’écris pour tous les retenir. Un jour tu me liras, tu sauras à travers quoi je parle, derrière quoi je me tiens, les bras déchirés sur les piquets que je pose, un par un, pour terminer debout, régénérée à chaque souvenir de ton désir puissant.

Tu sauras que je ne t’ai jamais abandonné, lorsque j’ai quitté une scène intenable. Que je n’ai jamais renoncé à mes violences coutumières, lorsque j’ai tamisé leur expression. Tu sauras que partout où je dévore du regard et du ventre, que je guette et traque, tisse mon piège de mots, je ne pense qu’à toi. Comme tu m’as faite, et m’a perdue. Comme je demeure, et grandis loin de toi, près de lui, mêlée. Inenvisageable.

 


https://www.youtube.com/watch?v=l3NhNz9-EOA
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