I don’t want to talk about the wings, I just want to fly.
The Waterboys

Roi de beauté haut la main dans les contrées qui abolissent les concours, il lui arrive de décrire ses ailes, mais le plus souvent, il se contentera de voler.

Plutôt que de confortablement prendre position contre son parrain alors qu’on pourrait tourner le dos à la foire, refuser de paraître chez les parvenus au lieu de participer à en filtrer l’entrée, plutôt que de dénoncer dans les médias, choisir de brûler ces doigts, qui ne montrent plus la Lune depuis longtemps, à la flamme d’une voie suivie sans se retourner pour compter les suiveurs : et l’écrire, comme on cartographie les sorties, ne jamais faire le point, continuer de tracer, voilà, voilà sans doute pourquoi lorsque ces impératifs frappent de plus en plus lourdement à la porte, finit-elle par s’entrouvrir le temps de glisser le bon livre, cet autre, cette piste, ce prochain, ce sourire, ce défi.

Lire La Figure du dehors de Kenneth White c’est reprendre toutes ses fureurs passées, émiettées dans une coulée déjà froide, remonter sa pente à la vitesse des résolutions-tonnerre, se reformer quasi instantanément comme avant l’éruption. Dans cette densité d’existence, telle qu’elle nous est en ces pages rendue, peut se fomenter enfin, structurée autant qu’atomisée, la formule qui frappera en crécerelle affûté sur ces hordes d’étourneaux fatigués.

Plus je lis sur la fuite, la vacuité, le silence et le vent et plus je reviens en ce monde cernée, gainée, déterminée et sonnante, comme une franche monnaie pour payer le passage. Il n’est pas question de *sortir* pour s’en laver les mains : il est question de se forger, le long d’absences ritualisées, de discipline prolongée, de dos tournés à l’injonction de vitesse et de positionnement forcé, un cheval de Troie, l’or d’une voix qui, captivante et gorgée, engluera l’insecte imprudent sur la tige.

Lire Kenneth White, c’est s’assurer quelques belles prises, à relâcher au soir : une expérience gratuite, un test d’évacuation, la formation d’une murmuration souveraine qui se repère mieux dans le noir qu’aucun programme raide et borné.

Renoncer à ce souffle, un seul instant un seul, trébucher de cette envergure me semble plus mortel que de risquer la chute d’une falaise.

*

« L’acte d’écrire n’est pas un discours. Le discours mène, logiquement, quelque part. L’acte d’écrire, au contraire, est ouverture. […] En poétique il n’y a pas de conclusion. Absolument rien à cataloguer. »

*

« Ayant mieux à faire que de « prendre position » (j’essaie plutôt de suivre une voie), je me contente, pendant que certains montent à la tribune, de regarder par la fenêtre, en attendant, plus ou moins discrètement, d’ouvrir la porte et de sortir chez moi, dehors. »

*

« Pour sortir, il faut se débarrasser de quantité de structures, il faut une disponibilité de l’esprit et du corps qu’aucun système ne peut reconnaître et que peu d’institutions se permettent d’encourager. »

*

« La logique d’une telle voie ne peut être purement linéaire. Chaque étape contient les éléments des autres, la matière se roule sur elle-même avant de prendre un nouvel élan. Vous n’êtes pas dans un laboratoire, mais sur un rivage. »

*

« En procédant ainsi, on retrouve les énergies qui furent à l’origine de notre culture, « ces oiseaux criards d’Ionie » évoqués par Platon. »

*

« Le fait pour un homme de vivre sur les bords de la société n’implique nullement qu’il se soit mis en retraite et mène une vie « simple ». Il se peut qu’il ait choisi de vivre le plus possible dehors afin de vivre une vie à la fois plus immédiate et plus complexe. Si vivre à l’écart peut être le résultat d’une incapacité et d’une inhibition, ce peut être aussi celui d’une capacité de vie plus grande que la normale. »

*

« La poésie est une logique érotique. Elle n’est « contre » rien, elle s’en va ailleurs. »

*

« Au début de tout, pour que quelque chose commence, il faut une énergie barbare, c’est-à-dire non clôturée dans un discours. »

*

« Quand je dis poésie, je pense à des flux, des tensions, des architectures inédites. Rien à voir, s’il vous plaît, avec ceux qui ne font que paraphraser leur paralysie. »

*

« J’affirme une santé, la possibilité d’une santé, liée à une capacité de se mouvoir, désencombré, dans l’espace atopique, capacité qui ne peut venir que de l’acquisition d’une autre pensée, d’une autre manière d’être. »

*

Kenneth White, La Figure du dehors [1982], Le Mot et le reste, 2014, 232 pages.

Pour poursuivre la route ensemble...
johnny hallyday road trip
Ne freine que devant Dieu – Road Trip, de Pierre Billon

Pierre Billon raconte trois road-trips en motos avec Johnny Hallyday, et nous fait rouler vers l'Ouest avec sa bande.

Leon Tolstoi Le Diable Paméla Ramos Si tous moi non
Le sexe, tout le temps

À propos du Diable, de Léon Tolstoï | Le Diable veillait. Il se manifesta. Un frémissement, d’abord.

Rien, mais plus large – Absolutely Nothing, de Giorgio Vasta et Ramak Fazel

Cathartique pour ceux qui ont trop, familier pour ceux qui s'évertuent à faire décroître leur désert sans augmenter leurs possessions, touffu, cérébral et fantasque, Absolutely Nothing, Histoires et disparitions dans les déserts américains, n’est pas le livre d’un observateur moraliste ou d’un naturaliste obsessionnel.

Autorités intellectuelles – La fille parfaite, de Nathalie Azoulai

Lorsqu’Adèle la mathématicienne se suicide (pendue, comme un homme), Rachel, l’écrivain, résignée, soulagée autant que mortifiée, se met en devoir de témoigner, car après tout, la littérature, elle, reste.

Léon Bloy, Méditations et Sang du pauvre : les profiteurs de guerre

« On ne peut rien faire sans argent », dit un lieu commun dont la stupidité sacrilège est parfaitement ignorée de ceux qui en font usage. Sans doute on ne peut rien sans la sueur et le sang du pauvre ; mais cette sueur, quand elle coule d’un noble front, et ce sang, > Lire plus

« Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs » – Virginia Woolf, Une chambre à soi

L’apparition dans le miroir est de suprême importance parce que c’est elle qui recharge la vitalité, stimule le système nerveux. Supprimez-la et l’homme peut mourir, comme l’intoxiqué privé de cocaïne.

Vous souhaitez recevoir les articles ?

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.