Je ne me serais jamais doutée que mon salut viendrait de toutes ces portes claquées et, emmurée, je me sens bien. Un peu comme ces plantes grasses, je m’épanouis dans l’ombre, sans trop d’eau ni d’attention. Mais enfin aussi, il faut les avoir vus, il faut les voir gesticuler et piailler, ces pauvres débiles sans autre célébration qu’eux-mêmes. Il faut avoir bien regardé tout ceci parfaitement pour sourire derrière la porte et souffler. Quand ils dansent trop près des rails, moi je voudrais qu’ils tombent, mais sans méchanceté : pour qu’il se passe quelque chose dans cette torpeur acide que leurs peaux exsudent. Vient toujours la subtile saturation quand ils me parlent, et soudain je n’écoute plus, je ne peux plus tolérer cette langue barbare créée par la facile paresse. Ils disent qu’ils savent, et qu’ils sont contre. Ils ont toujours une radieuse opinion, et je dois leur répondre, car à renoncer et me ranger dans les rangs de leur verbe maussade et usurpé, j’ai toujours préféré crever, et je voudrais bien vivre un peu, encore. J’en entends de ces contre…

Contre-culture, contre-pouvoir, contrefaçons : tous ces contre qui ne connaissent même plus leur ennemi mais frappent son symbole, pour l’abattre sans vertige, sans ferveur, par ennui, par la stupide passion de vibrer sans emphase, et de ne pas jurer dans la couleur ambiante de la communauté du moment. Je me garderais bien d’être contre eux, ils risquent de déteindre. Mais je leur oppose une hostilité vivace, que je me refuse à tempérer, celle de ne plus exister parmi eux.

Eux, tous, les innommables, que je ne suis même plus sûre de pouvoir dénombrer. La grande conspiration prête-à-porter et exaltée, bronzée, active. Négligée.

Il n’y faut pas une guerre, bonnes gens, sur ce globe décharné et grouillant, mais un drame affreux chez les tranquilles, pour reprendre un titre de livre qui sonne bien. Il faut dévoiler les phallus tranchés par Cybèle, il faut des tauroboles et des catabases. Il faut redonner leur puissance aux cieux vidés, espérer des éléments un déchaînement féroce pour décoiffer toute cette suffisance, si l’on ne peut plus rien pour Dieu. Mais pendant que j’imagine, béate, la destruction des temples de la Défense, et ceux, plus infiniment difficiles à cibler, de ces millions de cœurs séchés, les naissances pullulent et les vieux ne meurent plus.

Mais plus je lis, plus je parcours, plus je dévore, dans un silence à peine brisé par les complaintes musicales de quelques rares alliés, plus je m’élève dans la beauté sidérante ou la crasse fort bien écrite, distançant ces créatures arrogantes, placardées de leur insignifiance, et plus je vérifie Rivarol, car je m’isole. J’aurais pensé, plus tôt, dans mes temps immémoriaux de dispersion et d’ignorance, ne pas le supporter. Eh bien, au contraire, je réussis à tous les éviter, je contourne les multiples difficultés d’une ville à embûches avec une énergie déconcertante, je ne me retourne jamais sur les grands sacrifiés, ceux que j’aurais préféré compter sur les doigts de mes poings dans mes poches, ils se sont décrochés, racornis et fatigués, ils peuvent bien se dissoudre à présent dans le vent d’une époque formidable, je leur dis bon voyage.

Et si le plus grand tabou de notre monde moderne, la crainte terrible des annonceurs se révélait être tout simplement cet hermétisme au média-monde, cet isolement consenti avec soi-même, cette solitude aspirée de toutes ses forces, quand tout nous dit qu’elle est mortelle ?

 

[Crédits : L’île des morts, d’Arnold Böcklin]

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