J’ai entre autres choses appris à me défaire du besoin de parler.
Salutations de Berne (1917).

« Les périodes de grandes épreuves nous offrent l’occasion de constater que les hommes sont curieusement plus nombreux à pouvoir mourir pour un bien idéal qu’à savoir vivre pour lui. (…)
Il est possible de perdre de l’argent, la santé, la liberté, la vie, mais les valeurs spirituelles que vous avons vraiment acquises, qui font désormais partie de nous-mêmes, ne peuvent nous être retirées sans qu’on nous ôte en même temps la vie. Les choses que nous portons réellement en nous, qui sont inébranlables et inaliénables, se dévoilent uniquement dans les périodes de détresse et de souffrance. Bien souvent, les gens qui avaient une prédilection pour un beau passage du Nouveau Testament ou pour un vers spirituel de Goethe lorsque tout allait bien, qui écoutaient avec plaisir une conférence ou une belle œuvre musicale, ne conservent aucun souvenir de tout cela quand la détresse, la faim et les tourments jettent une ombre sur leur existence.
Ces gens-là sont à plaindre. Ils ne s’intéressaient aux valeurs de la culture que pour le plaisir facile qu’elles leur procuraient, et se voient abandonnés par elles dans l’adversité. (…) Auparavant déjà, leur rapport au monde merveilleux du spirituel n’était sans doute pas authentique, vrai. (…) Notre éducation intérieure s’achève et nous atteignons l’âge adulte dès l’instant où nous admettons l’existence de ces valeurs, dès que nous nous y conformons de façon volontaire et pas seulement contraints et forcés. Voilà pourquoi nous considérons le criminel qui n’a jamais appris cela comme un être arriéré et inférieur.
La société humaine soutient et aide l’individu à condition que celui-ci la reconnaisse et consente pour elle à des sacrifices. De la même manière, la culture commune à tous les hommes et à tous les peuples réclame qu’on lui rendre hommage, qu’on se mette à son service, et non pas qu’on se contente de la découvrir, de l’utiliser et d’en jouir. »
Richesse intérieure. Texte écrit à l’intention des prisonniers de guerre (1916)

« Lorsque je regarde par exemple où en sont la littérature et la vie intellectuelle d’aujourd’hui, lorsque je constate à quel point leur niveau est médiocre, je ne me sens nullement épouvanté. Je sais en effet que les meilleurs se taisent. Ils vivent sur des îles perdues, séparés des foules et des modes passagères par des immensités, par des siècles et des siècles d’évolution. Ils savent qu’il est vain de joindre leurs articles et leurs cris à ceux des autres, ou simplement de défendre leur bien. Ils suivent les événements quotidiens avec l’intérêt qu’exige leur importance tragique, mais la plupart d’entre eux ne se leurrent plus sur la possibilité qu’a l’écrivain de contribuer au rétablissement des affaires publiques. L’engagement politique des auteurs ne mène à rien. Au contraire, nous recherchons désormais plus que jamais des îles solitaires et lointaines où nos rêves peuvent s’épanouir et notre amour des hommes s’exprimer pleinement. Nous ne voulons plus être manipulés, nous ne voulons plus produire un travail médiocre dans des domaines qui sont étrangers au nôtre, présenter à nos braves lecteurs des analyses déjà toutes faites des événements les plus récents alors que nous n’en avons été qu’à moitié témoins. Il est illusoire de croire à l’existence des « braves lecteurs », illusoire d’imaginer que les écrivains puissent tenir le rôle des causeurs que l’on tolère gentiment ou des vieux sages qui dispensent leur savoir avec noblesse ; ce sont là de pures chimères inventées par le public. L’écrivain ne doit pas aimer le public, mais l’humanité (dont les plus beaux fleurons ont besoin d’œuvres littéraires, même s’ils ne les lisent pas) ; il ne doit pas se transformer en journaliste ou en homme de parti pour l’amour de la patrie ; enfin, il ne doit pas fréquenter les fournisseurs de guerre, aussi séduisant que cela puisse paraître d’un point de vue économique. Son devoir est de vivre lui aussi les événements de son temps, sans chercher à les exploiter avant même d’en avoir vraiment été témoin, et il n’est plus redevable ni à lui-même ni à son peuple d’accomplir des actes qu’il ne considère nullement comme nécessaires. »
Salutations de Berne (1917)

Extraits de : Hermann Hesse, L’art de l’oisiveté, traduction d’Alexandra Cade (2002).

 

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