« Comme une église s’offre à l’homme qui prie, le livre appelle une vie qu’anime la passion de connaître, qui cherche et qui médite. Un si bel objet, si pur et spirituel à ce point, doit faire les délices de l’intelligence; par là, il n’a rien de commun avec la foule. La décadence du livre et sa laideur viennent de sa diffusion dans la multitude. (Il y a des plèbes à tout étage et en tout genre). On a perdu une beauté qu’on a voulu répandre. Rien n’est plus hideux qu’un journal; car rien n’est plus vulgaire : et le fond ne l’est guère moins que la forme. Le journal est le livre de tout le monde : impudent, il est toujours ouvert, même plié. Les monuments de pierre sont faits pour tous les hommes: ils se soucient à peine de les voir, ou ils ne font qu’y passer. On ne jouit pas d’un livre à dix, à vingt, ni à cent ensemble. On ne lit bien que dans la solitude. Le livre est comme l’amour aux âmes bien nées. À chacun son livre, et d’y avoir le plaisir qu’il peut y prendre. Le propre de l’objet spirituel est d’être singulier, et seul à seul. Tout dans le livre marque la personne et l’individuel. Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate; s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront: il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes ; la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l’effort et l’attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche de l’imagination particulière : tout y sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau. Le livre aura toujours des fidèles, les derniers hommes qui ne seront pas faits en série par la machine sociale. Un beau livre, ce temple de l’individu, est I’acropole où la pensée se retranche contre la plèbe. »

Faire défiler :

André Suarès, L’art du livre [1928], Editions Fata Morgana, 2022, 40 pages.

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